HOMMAGE A MARGENE BULLCREEK : LE GAZ INNERVANT DES VOISINS DES GOSHUTES

Margene Bullcreek, qui nous a quittés récemment, était à la tête de la lutte contre la décharge de déchets nucléaires dans Skull Valley, lutte qui l’a menée à découvrir du gaz innervant à proximité

Par Brenda Norrell
Censored News, 3 mars 2015
Traduction Christine Prat

Le décès de Margene Bullcreek, Shoshone Goshute, nous rappelle la nécessité de préserver les histoires pour les générations futures. Margene Bullcreek a conduit la lutte qui a mis un terme à la décharge de déchets nucléaires en terre Goshute, dans la Skull Valley, en Utah. Alors que le combat était en cours, en 2005, il a conduit à la découverte et la dénonciation de voisins des Goshute possédant du gaz innervant : l’armée américaine.
Lorsqu’elle s’est engagée pour bloquer la profanation et la contamination, les actions de Margene Bullcreek ont inspiré l’article ci-dessous, que j’ai écrit en 2005. En mémoire de Margene, qui est passée dans le Monde de l’Esprit dimanche dernier, je republie cet article pour rappeler la nécessité de partager les histoires, d’enregistrer les paroles pour les générations futures, et comme exemple de l’effet d’entrainement produit par le fait de s’engager dans la lutte pour la vérité.
Quand la Commission de Régulation Nucléaire a approuvé la licence pour un site de stockage sur une terre tribale Goshute dans la Skull Valley, çà a soulevé de nouvelles questions sur l’utilisation par le gouvernement fédéral de la région comme site d’essais pour les armes biologiques et chimiques de l’armée des Etats-Unis, entre autres le gaz innervant et l’anthrax.

Brenda Norrell

 

Article de 2005 :

Margene Bullcreek, membre de la tribu Goshute de Skull Valley faisant partie de ceux qui protestent contre la décharge de déchets nucléaires ou toxiques en terres Indiennes, a dit qu’il était temps que le gouvernement arrête de déverser ses déchets nucléaires sur les Indiens et de les traiter comme s’ils étaient jetables.
« Rien n’est ajouté à notre prospérité si du poison est déversé. Les déchets radioactifs détérioreraient notre roue médecine dans les quatre domaines : physique, mental, émotionnel et spirituel » dit M. Bullcreek, fondatrice du groupe communautaire Ohngo Gaudadeh Devia Awareness.

Le groupe Goshute, avec l’état d’Utah, s’oppose au projet actuel du Consortium Private Fuel Storage [Stockage Privé de Carburant – NdT] de stocker plus de la moitié des déchets nucléaires à haute teneur du pays sur environs 7 hectares de terre tribale.
Les Goshutes, dont la langue d’origine est Shoshone, protestent contre la décharge nucléaire projetée, rebaptisée « la Yucca Mountain de l’Utah », en référence à la décharge nucléaire du sud du Nevada. Pendant ce temps, les Shoshone de l’ouest dans le Nevada continuent à s’opposer à la décharge de déchets nucléaires sur des terres ancestrales.
« Les Autochtones de ce pays ont toujours été victimes de la sécurité nationale », dit M. Bullcreek, critiquant l’approbation par le Bureau des Affaires Indiennes de la décharge de déchets nucléaires en pays Goshute.
Déjà, les Goshutes sont des voisins involontaires du site de tests à l’air libre d’armes biologiques et chimiques de l’Armée des Etats-Unis de Dugway, dans l’ouest de l’Utah.
L’Agence Fédérale de Gestion des Crises [Federal Emergency Management Agency] reconnaît les risques que ces armes posent aux voisins de Dugway, les Goshute de la Skull Valley.
Sur son site Web, l’Agence cite le ‘Guide en Pays Indien’ de la chercheuse Apache Jicarilla Veronica Tiller :
« Au sud de la réserve il y a le site de tests de Dugway, où des armes chimiques et biologiques sont développées et testées par le gouvernement. En 1968, des agents chimiques ont fui de Dugway, tuant environs 6000 moutons et autres animaux de la réserve ; le gouvernement a enterré au moins 1600 moutons contaminés dans la réserve.
« A l’est de Skull Valley, dans la région de Rush Valley, le gouvernement a un site de stockage de gaz innervant. Au nord de la réserve, il y a une grande usine de production de magnésium qui a été identifiée par l’Agence de Protection de l’Environnement comme la plus polluante du genre aux Etats-Unis. »
En ce qui concerne le projet d’entrepôt de déchets nucléaires, l’Agence Fédérale de Gestion des Crises déclare que des inondations éclair et des tremblements de terre le long de la ligne de fracture de Wasatch constituent des risques supplémentaires.
Les opérations du site de test de Dugway ont été classées secret-défense pendant presque tout le 20ème siècle. En mars 1968, suite à une expérience avec l’agent innervant VX, 6000 moutons sont morts dans Skull Valley et Rush Valley.
« L’agent VX a été trouvé dans des échantillons de neige et d’herbe fournis approximativement trois semaines après l’incident des moutons » peut-on lire dans un rapport de 1970 rédigé par des chercheurs de l’Arsenal de l’Armée d’Edgewood, dans le Maryland, qui a été révélé par le Salt Lake Tribune en 1998.
Le secret-défense sur le document a été levé en 1978, mais ce n’est que 30 ans après la mort des moutons qu’il a été rendu public. Pourtant, le commandant de Dugway a dit que l’Armée n’acceptait pas la responsabilité pour la mort des moutons et n’admettait aucune négligence.
Le VX, qui a été trouvé dans les cadavres de moutons, est un gaz innervant tellement puissant qu’une seule goutte sur la peau peut entrainer la mort en à peu près 15 minutes. Çà perturbe le système nerveux et entraine l’arrêt de la respiration. L’agent GB, une autre forme commune de gaz innervant plus connue comme ‘sarin’, s’évapore rapidement dans l’air en un gaz mortel.
La couverture internationale de l’incident a contribué à la décision du Président Nixon d’interdire tous les tests à l’air libre d’armes chimiques en 1969.
Cependant, les dirigeants tribaux Goshute se sont souvent demandé si la mort de plusieurs anciens de la tribu, décédés peu de temps après les moutons, n’était pas due à l’accident du gaz innervant.
A l’époque, en 1968, Dugway procédait à des tests aériens. Lors d’une des expériences, du VX a été répandu d’un avion vers une cible au sol à environs 43 km de Skull Valley. Au moment de l’accident, quand le gaz innervant s’est échappé de la zone ciblée, tout animal ou humain qui aurait consommé de l’herbe ou de la neige aurait été contaminé.
A part la mort des moutons en 1968, il y a eu au moins 1174 tests de produits chimiques à Dugway, dispersant des centaines de milliers de kilo de gaz innervant à tous vents, selon des documents révélés par le Deseret News en Utah. Il y a eu 328 tests à l’air libre d’armes biologiques ; 74 tests de « bombes sales » à radiations et l’équivalent de 8 fusions intentionnelles de petits réacteurs nucléaires.
A côté des tests biologiques et chimiques à Dugway, des essais d’armes atomiques à ciel ouvert au Site d’Essais du Nevada, dans les années 1950 et 1960*, ont causé des retombées radioactives qui se sont propagées jusqu’en Utah.
Actuellement, Dugway est sur le marché de l’anthrax en grandes quantités, selon des demandes de contrats découverts par le Sunshine Project, une organisation américano-allemande qui s’oppose à l’utilisation d’armes biologiques et chimiques.
Le magazine New Scientist a écrit que cette démarche controversée va vraisemblablement soulever des questions quant au respect par les Etats-Unis des traités établis pour limiter la prolifération d’armes biologiques, et l’article souligne que, bien que le pays ait renoncé aux armes biologiques en 1969, Dugway produisait encore des quantités mortelles d’anthrax en 1998.
Le but de la demande de contrat de Dugway est que les entreprises fassent des offres pour la production de grandes quantités de souche non-virulente d’anthrax et d’équipement pour produire des volumes importants d’autres agents biologiques. A part les contrats pour l’anthrax, d’autres contrats concernent l’équipement pour produire un agent biologique non spécifié et des carcasses de moutons pour tester l’efficacité d’un incinérateur pour le bétail infecté.

brendanorrell@gmail.com

 

* Les tests suivants étaient souterrains, mais causaient tout de même d’énormes colonnes de poussière radioactive dans l’air. Ils ont continué jusqu’en 1992. Il y a eu environs 800 tests sur le site du sud du Nevada (à seulement 105 km de Las Vegas et à proximité de terres ancestrales des Shoshone) – Christine Prat

Photo ci-contre: du site “The Blog Below”, 14 juillet 2008

 

 

 

 

 

IndianResUtahNevadaNukesSTous les noms indiqués sur la carte indiquent des réserves ou petites communautés Autochtones, en mauve les zones où des armes nucléaires, chimiques ou biologiques ont été testées et entreposées