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Nataanii Means était l’un des intervenants, lors de la 37ème Journée de Solidarité avec les Indiens des Amériques organisée par le CSIA-nitassinan. Il a parlé de son expérience à Standing Rock, lors de la lutte contre l’oléoduc DAPL, de ses regrets et de ses espoirs, et commenté le documentaire de Michelle Latimer “Rise”, sur Standing Rock.

Après s’être présenté, comme Lakota, Omaha et Diné, il a remercié les personnes présentes d’avoir pris du temps sur leur samedi pour être là, Nataanii a raconté ce qu’il avait vécu, l’an dernier, à Standing Rock.

J’ai transcrit et traduit l’essentiel de ce qu’il a dit.

Christine Prat

 

“Ces deux dernières années, le CSIA m’a invité ici pour chanter et pour parler. L’an dernier, je vivais dans les camps, je vivais dans un Tipi avec un ami, dans le camp Red Warrior. J’ai pris le temps de venir ici en avion, puis je suis retourné là-bas. La tension avait beaucoup monté, et j’ai finalement été arrêté, le 27 novembre 2016. C’était le jour que nous avons baptisé ‘Le Raid du Camp du Traité’. Je crois que les accusations initiales portées contre nous constituaient un délit et trois infractions.

“Le film que nous venons de voir a fait remonter beaucoup de souvenirs, beaucoup de bons souvenirs, beaucoup de mauvais souvenirs, beaucoup de regrets, beaucoup de souffrance, et beaucoup de colère. Vous savez, la plupart d’entre nous ont renoncé a beaucoup de choses pour aller là-bas, et nos vies ont été complètement changées, après ça. Le film est très beau, les images sont très belles, ces images de mon peuple, mais je ne voudrais pas que vous gardiez cela dans vos esprits comme étant ce que nous sommes tout le temps. Parce que nous avons traversé des circonstances très dures. Notre plus grand combat, l’essentiel de notre combat, était entre nous. Je dois vous le dire tout net, nous nous sommes combattus les uns les autres très durement. Et c’était une véritable lutte pour, ne serait-ce que continuer, à bloquer l’oléoduc physiquement, nous nous battions éternellement rien que pour faire cela. Parce que beaucoup de gens dans les camps ne respectaient pas la diversité des tactiques.

Un grand nombre de gens ont gagné beaucoup de choses dans ce combat, jusqu’à des bottes [de marque] Eagle, jusqu’à de l’argent… Pour ma part, j’ai gagné beaucoup de regrets. Je parlais justement à Tara [Houska], il y a un instant, nous regardions la fin de cette vidéo… Putain, mec! Ça se termine tellement mal! Et tous ces vétérans qui sont venus, ça n’a absolument pas aidé. Il faut que vous compreniez que, dès le début des camps, parce que notre peuple avait été opprimé pendant si longtemps, nous n’avions pas acquis la connaissance, la compréhension, de ce qu’est le matriarcat. Les idées patriarcales sont tellement incrustées chez les plus âgés, qui ont souffert du système, que c’est en eux, depuis des générations. C’était extrêmement difficile de travailler dans ce camp, parce que ces idées patriarcales, régnaient, étaient suprêmes, même si nous essayions de rester honnêtes avec nous-même. Avec quelques amis, nous sommes restés pendant l’hiver, après que nous ayons arrêté notre camp, nous sommes restés trois mois. Et c’est alors que nous avons vu la corruption de la Tribu Sioux de Standing Rock [le Conseil Tribal], et des gouvernements selon l’IRA [Indian Reorganization Act, une loi sur le statut des Réserves]. Nous avons vu ces vétérans apparaître, et finalement infiltrer certains groupes, et diviser les gens. Plus tard, nous avons découvert que ces groupes qui infiltraient, faisaient entrer de la drogue. Et l’hiver était particulièrement dur, un des plus durs que nous ayons connu, nous avons eu quatre blizzards. Et c’est alors que j’ai appris à être, ça a été une des périodes les plus dures de ma vie. C’est comme cela que j’ai appris à être un être humain, je crois. Parce que nous devions prendre soin les uns des autres, et nous avions à nous méfier les uns des autres. Il ne s’agissait pas de certains types de groupes dans le camp, il s’agissait de qui vivait là. Pendant ce temps, les travaux [du DAPL] étaient supposés être arrêtés. Mais ils creusaient sous le fleuve, tout le temps où ils n’étaient pas supposés travailler. Nous n’étions pas assez nombreux, nous n’avions pas assez de soutien, et nous n’avions pas l’énergie pour entreprendre une quelconque action pour les empêcher de creuser.

Je vous raconte cette histoire parce que je pense que ça peut aider, mais je ne veux pas laisser les autres [intervenants] attendre, en racontant une longue histoire. Je vous raconterai encore celle-ci:

A un moment, en février [2017], alors que Witko, Tufawon et moi rentrions d’un voyage [pour appeler les banques à désinvestir du DAPL], nos amis Yazz et Sage, et quelques autres nous dirent ‘nous avons une idée’. Ils avaient un papier, divisé en trois sections, l’une appelée ‘semaines’, l’autre ‘mois’ et la troisième ‘années’. J’ai demandé ‘qu’est-ce que c’est que ça?’ Et ils me dirent ‘si tu dois faire de la prison, combien de temps est tu prêt à faire, pour arrêter cet oléoduc?’ J’ai regardé et pensé ‘pas de prison du tout’. Nous souffrions de sévère paranoïa, nous étions tout le temps fatigués, il faisait froid, et il y avait beaucoup de choses qui n’ont pas été filmées par la caméra: nous avons combattu les flics à de nombreuses reprises, sur le pont. Et à ce moment-là nous étions arrêtés la plupart du temps, alors j’ai regardé le papier et j’ai dit ‘des années’. Et ce n’est pas pour me vanter, ce n’est pas pour être vu comme un grand guerrier, je ne me considère pas comme un guerrier. Je veux dire, j’aurai préféré des semaines, mais j’ai réfléchi, ‘si je veux faire ça, c’est le moment de me sacrifier’. Et seuls Sage et moi avons choisi les années. Chaque catégorie avait un rôle à jouer dans notre plan. Enfin, il y a eu une réunion de femmes, quelques jours plus tard, certaines de mes tantes étaient venues pour partager leur sagesse avec ces jeunes femmes, et elles ont acquis un certain pouvoir dans les camps, ça faisait plaisir à voir. Quand je dis ‘mes tantes’, il s’agit de Madonna Thunderhawk et de Marbella Philips. Elles étaient dans ce camp de femmes. Nous sommes allés les voir avec nos plans pour leur demander conseil, parce que ces femmes étaient à Wounded Knee en 1973, et depuis, elles ont accompli tellement pour le mouvement. Alors, je leur ai demandé ce qu’elles pensaient. Et elles me dirent ‘vous êtes trop jeunes, nous n’avons pas besoin de vous en prison pour le moment. Il y a déjà suffisamment d’entre nous en prison.’ Et j’étais troublé. Je ne savais pas ce que je devais en penser. Et elles ne voulaient vraiment pas qu’on le fasse. Alors, nous les avons écoutées. Parce que nous les estimons, que nous estimons leurs opinions et leur sagesse. Donc, nous n’avons pas mis notre plan en pratique, nous en avons essayé un autre, qui n’a même pas marché. Les flics avaient fini par le découvrir. C’était fin février, quand ils ont fermé les camps. Et ils avaient creusé en mars. Mais depuis cette décision, j’y pense tous les jours.

Ce qui reste, c’est le tourment et les regrets. Je ne pense pas que nous avons gagné. Je pense que nous avons perdu, nous avons perdu notre combat. Et j’en sais quelque chose, des combats perdus!

Je ne connais pas la réponse, je ne veux pas prétendre connaître les réponses. Je sais ce que j’ai à faire en tant que jeune Autochtone. C’est un honneur d’être ici, avec ces gens, je me sens honoré d’être ici avec vous, et c’est un honneur pour moi de représenter ma Nation. Et je me suis rendu compte, il y a peu de temps, que nous devrons combattre chaque jour de notre vie, c’est quelque chose que je n’attends pas que vous compreniez, je ne pense pas que vous le comprendrez, mais c’est ce que nous devons faire, c’est ce que nous sommes. Et je pense que ça compense mon tourment, parce que je suis fier d’être la personne que je suis, et si fier d’avoir mes ancêtres coulant dans mes veines. Alors, je vais leur rendre honneur de la meilleure façon que je peux, chaque jour de ma vie. Et je continuerai à combattre, par la musique, par l’art, part les tribunaux, sur le front, pour le bien de la communauté, ou avec les jeunes.”