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41ème Journée de Solidarité du CSIA-Nitassinan
9 octobre 2021
Intervention de
Taneyulime Ludwina Pisili,
Kali’na de Guyane
Transcription et photos Christine Prat, CSIA-Nitassinan

Bonjour à tous, merci d’être venus ici. Je me présente : Taneyulime, Kali’na de Guyane, présidente de l’association Aukae, qui participe au développement de la culture Kali’na. Normalement, j’avais un intervenant aujourd’hui, malheureusement, je suis sincèrement désolée, ce sont les inconvénients du direct. Il y a eu de gros orages hier en Guyane, il y a très peu de réseau, c’est mal installé, mal géré, et malheureusement, nous avons du mal à joindre nos intervenants. Mais je vais quand même continuer sur le problème des ‘Homes Indiens’ et vous en parler un peu aujourd’hui.

Donc, aujourd’hui, nous allons parler des ‘homes Indiens’. Vous en avez peut-être entendu parler, ça fait écho à l’actualité des pensionnats canadiens. Il faut savoir qu’en ‘France’ aussi, il y a eu des pensionnats faits pour les Amérindiens, qui contribuaient à l’assimilation des populations Autochtones en Guyane française, pour devenir de ‘bons Français’. Une chose qui initialement était faite pour pallier au déficit scolaire. Il y avait énormément de jeunes Autochtones qui ne pouvaient pas aller à l’école du fait de l’environnement, nous sommes en Amazonie, il y a des villages très éloignés, et nous sommes une population qui n’est pas sédentaire à la base et qui bouge beaucoup, beaucoup n’étaient pas scolarisés. Pour pallier à ça, au milieu du XXème siècle, ont été mis en place les ‘homes Indiens’. Il faut savoir que ces ‘homes Indiens’ ont existé de 1949 à 2012, mais ce processus d’assimilation et donc ces pensionnats, ces écoles existent depuis le XVIIème siècle, depuis même l’arrivée des colons au XVème siècle, mais surtout depuis le XVIIème siècle, à l’époque des Jésuites.

Il y avait un désir d’éduquer les populations Autochtones, surtout les Kali’na parce qu’ils étaient principalement sur le littoral. [Elle montre une carte de la Guyane] Ici, il y a une grande ligne qui la découpe en deux, le littoral au-dessus, et tout ce qui est forêt amazonienne, qui est aujourd’hui Parc Amazonien. En dessous, vous avez les populations Wayãpi, Wayana, et depuis peu, une population Autochtone du Brésil qui émigre chez nous, on comprendra pourquoi, vu la situation actuelle au Brésil et toutes les problématiques, ils se réfugient sur des terres françaises. Et, en haut, sur le littoral, vous avez la population Kali’na, Arawak et Teko. Donc six populations Autochtones, trente autrefois, au début de la colonisation, et vous comprendrez tout de suite qu’il y a eu un gros déficit de population, moi je parlerais de génocide humain et par la suite un génocide culturel.

Les Jésuites ont voulu éduquer les populations Autochtones, puisque le Pape avait décidé qu’on ne pouvait pas coloniser les nouvelles terres, mais qu’on pouvait les évangéliser. Donc, on va essayer de leur inculquer la bonne parole chrétienne, la bonne parole catholique, entre autres, et leur enseigner tout ce qui concerne la religion catholique. Ces Jésuites, dans un premier temps, au XVIIème siècle, vont venir comme sauveurs, parce que, déjà, ils vont nous sauver de notre sauvagerie et de notre manque d’éducation. Mais aussi, grâce aux écoles qu’ils vont créer, de nombreux Kali’na vont échapper à l’esclavage. Très souvent, on parle de l’esclavage de la population africaine, des déportés d’Afrique, mais NOUS avons aussi connu l’esclavage. Ne l’oublions pas et rappelons-le, et surtout, disons-le, dénonçons-le, parce que c’est très important. Souvent, les chasseurs d’Indiens ont kidnappé les populations Autochtones pour les emmener vers les îles ou pour les asservir sur place, en Guyane. Nous étions très éloignés de l’Europe à l’époque, encore plus qu’aujourd’hui bien que nous le soyons encore, ils ont profité de cette situation pour nous kidnapper, nous arracher à nos terres, pour nous emmener sur les îles et nous traiter en esclaves. Ceux qui n’ont pas été enchaînés ont pu aller dans ces écoles, pour être éduqués, pour apprendre à lire et à écrire le français, mais aussi pour apprendre certaines techniques médicinales et la chirurgie pour pallier aussi à ce manque de personnes qu’il y avait à l’époque sur les terres et pouvoir aider les populations de colons qui manquaient alors – et encore aujourd’hui – d’hôpitaux, de services capables de les soigner.

Tout ça va exister, à peu près, jusqu’à la fin du XVIIème siècle, juste un peu avant la Révolution. Donc, ces Jésuites-là, ce serait un peu la ‘bonne période’ des pensionnats Autochtones. Ensuite il y aura les ‘réductions’, qu’il y avait souvent au Paraguay, des pensionnats très violents, ou l’assimilation est violente, dure et radicale. Après cela, il y aura un grand vide. De toutes façons, c’est simple, nous, les populations Autochtones, n’avons jamais été la priorité. Jusqu’à aujourd’hui, nous ne le sommes pas, nous ne l’étions déjà pas à l’époque, nous l’avons été très brièvement, comme nous l’avons vu, à l’époque où les Jésuites étaient là, mais après il y a eu un désintérêt total de l’administration française pour nous. On le voit d’ailleurs dans l’histoire, 1969, c’est seulement que nous avons le droit, le devoir, si je puis dire, de devenir Français, sur les papiers, administrativement. C’est très, très tard, par rapport aux pays voisins.

Il va y avoir une grande pause dans l’histoire, on va totalement se désintéresser de nous, et nous allons être décimés de façon ‘microbienne’ – est-ce que c’est vrai, je ne sais pas, je n’étais pas là – mais apparemment les maladies nous ont décimés. Je pense qu’il y a eu un petit massacre, mais c’est mon opinion personnelle.

Au milieu du XXème siècle, il y a eu la départementalisation de la France. Donc, on s’inquiète enfin de la Guyane et des populations Autochtones. Et on constate effectivement que tous ces travaux d’assimilation et d’évangélisation n’ont pas vraiment fonctionné sur la population Autochtone de Guyane, surtout chez les Kali’na. Vous ne le savez peut-être pas, mais nous sommes de grands guerriers et nous nous sommes battus très longtemps. Donc, on a du mal à nous assimiler. On a du mal aussi parce que nous bougeons beaucoup. Nous avons tendance à nous déplacer, donc les personnes qui dirigent ce pays vont chercher des solutions pour pallier à ça et comment éduquer ces Autochtones qui se déplacent relativement souvent, qui ne vont pas à l’école, et qui se déscolarisent, même quand ils vont à l’école, assez tôt, puisque les mariages sont précoces et leurs familles ont besoin de les avoir auprès d’elles pour l’agriculture, la pêche, etc., pour subvenir aux besoins de la famille.

Alors il y a eu deux étapes. Il y a eu une première étape où les sœurs sont venues, au début du milieu du XXème siècle. Ça s’appelait ‘orphelinats’, mais en fait c’était clairement des écoles. Ce sont des endroits où on prenait les Autochtones, pour les y emmener, mais en les éloignant de leurs familles qu’ils avaient encore. Je ne sais pas si le terme ‘orphelinat’ est approprié, mais en tous cas c’est comme ça qu’on leur a dit ‘on vous emmène à l’orphelinat, parce que, on ne peut pas vous laisser comme cela, au fin fond de la forêt, près des fleuves, etc. Mais c’est le terme que les personnes qui ont vécu là-bas ont donné. Et c’est comme cela qu’ils en parlaient : « J’ai été à l’orphelinat ». Alors que ces gens avaient encore leurs parents. On les a arrachés à leur famille. Ce n’était pas des orphelinats, c’est le terme que ces sœurs donnaient pour pouvoir prendre ces enfants à leurs familles, mais ces enfants avaient toujours une famille. Peut-être que c’était des parents qui étaient partis à la chasse, ou partis à la mer ou en forêt. Mais ils avaient toujours leurs parents, on les a effectivement arrachés à leurs parents très tôt, puisqu’on a demandé au clergé, et principalement aux sœurs qui étaient là à l’époque, de les prendre entre 6 et 15 ans. C’est ce qui était demandé par décret, mais ce n’est pas ce qui était fait en réalité. Du fait que, pour eux, à 6 ans ils étaient déjà trop grands, pas assez malléables, pas faciles à endoctriner. Donc, en fait, on les a pris à leurs parents et éloignés d’eux, de 4 à 16 ans. Le plus tôt possible était le mieux, plus ils sont jeunes, plus on les assimile.

Donc, au tout début, ce sont des écoles de sœurs ou de frères, mais ce ne sont pas encore des ‘homes Indiens’. Ça va être officialisé en 1964, mais on sait d’après les archives que la réalité est autre, ça existait dès 1949. Il y en a eu cinq, principalement sur le littoral. Comme je disais, par décret c’était entre 6 et 15 ans, mais en réalité entre 4 et 16 ans, pour, soi-disant, protéger les jeunes filles, éviter qu’elles ne soient mariées trop tôt, aussi pour leur apprendre un maximum de choses et qu’elles n’oublient pas les bonnes pratiques catholiques, puisqu’on se rendait compte des échecs multiples des siècles précédents, où les Kali’na revenaient à leurs coutumes traditionnelles. Donc, il y avait des ‘homes’ féminins, gérés par les sœurs, et des ‘homes’ masculins, gérés par des frères spiritains. Tout cela va durer officiellement jusqu’en 1980, mais nos frères Wayãpi et Wayana vont connaître ça jusqu’en 2012, quand on a commencé à entendre des dénonciations de ces instituts, qui demandent aux Kali’na – et tout autre Peuple Autochtone – de ne pas parler leur langue maternelle, d’être mal nourris, comparé à leur village, alors qu’on prétendait les sauver, les protéger, et surtout d’être éloignés très fortement de leurs familles, qu’ils ne peuvent aller voir qu’une ou deux fois par an, et ils ne laissaient pas les parents venir voir leurs enfants.

Ces institutions étaient faites pour les populations Autochtones de Guyane ‘Française’. Aujourd’hui, je fais témoigner un Autochtone du Surinam, car le clergé ne s’arrêtait pas aux frontières, ils allaient sur les terres du Surinam et sur les terres brésiliennes pour prendre des enfants qui n’étaient pas ‘de l’état français’, pour les mettre aussi dans ces homes indiens. Ils y étaient battus, frappés, mis sur des dalles… Enfin, ce sont des choses dont vous pourriez dire qu’elles existaient aussi ‘chez nous’, dans la France hexagonale à cette époque-là. Ce sont des choses que les gens d’après-guerre pourraient raconter aussi. Effectivement, c’est sûr. Mais ce sont des choses qu’il faut souligner et ne pas oublier. Arracher un enfant à ses parents qu’il ne peut voir que deux fois par an, ne pas le nourrir convenablement, ne pas lui laisser accès à ce que les prêtres ont accès, la télé, les jeux, lui interdire de parler sa langue maternelle avec ses camarades, l’autoriser seulement à parler le français quand il est arraché de Surinam où il venait d’écoles où on parlait le néerlandais, c’est quand même très compliqué, c’est frustrant. Comme dans beaucoup de pensionnats de ce type-là, il y a aussi des sévices autres que psychologiques, physiques et parfois sexuels, comme dans beaucoup d’histoires des pensionnats du clergé. Malheureusement, nous n’avons pas de témoignage de cette personne, mais j’espère qu’un autre jour vous pourrez la voir, et nous avons son récit à Aukae, donc nous pourrons le diffuser. Je trouve que c’est important, aujourd’hui de vous parler de cela. [Elle montre une carte] Vous pouvez voir les différents ‘homes indiens’ de Guyane, il y en avait principalement cinq, mais vous en voyez d’autres encore.

Je ne suis peut-être pas la meilleure personne, ne l’ayant pas vécu, pour partager ce que ça pouvait être émotionnellement éprouvant d’être dans ces ‘homes’, mais je le dénonce. Ça existait aussi en France. Ça a existé de 1949 à 2012, mais ça a existé pendant des siècles aussi, puisque c’est depuis l’arrivée des colons qu’on essaie d’arrêter les sauvages sans éducation, qu’on essaie de les éduquer sous des prétextes multiples, mais au final, on ne leur donne pas les mêmes possibilités qu’à d’autres personnes. En les maltraitant et en créant cette assimilation, il y a eu énormément de frustrations au sein des populations Autochtones. Là, par contre, c’est mon témoignage, il y a des gens qui, après ces ‘homes’, n’ont pas voulu apprendre à leurs enfants à parler Kali’na, par exemple – je suis Kali’na, donc je me permets d’en parler – il y a des gens qui n’ont pas voulu apprendre à leurs enfants à parler leur langue maternelle, parce qu’ils avaient honte ! Il y a des gens, jusqu’à aujourd’hui, qui sont traumatisés, qui n’en parlent plus, ces gens-là sont traumatisés même s’ils n’en parlent pas. Aujourd’hui, heureusement, nous sommes dans une réappropriation culturelle. [Elle montre deux photos de pensionnats d’autrefois]. On voit bien des jeunes filles Kali’na en costume traditionnel, qui ont été arrachées à leurs familles, et là on voit comment on les a assimilées en les obligeant à mettre des vêtements ‘civilisés’.

Je remercie les personnes comme Ludovic Pierre, qui est à l’origine du collectif Makan, qui depuis plus d’un an réunit des jeunes militants comme moi, comme mon amie Taina qui est dans la salle, et comme mon autre amie qui n’est pas là, mais qui peut-être nous entend, et est une artiste Kali’na. Il y a un désir, pour répondre à ces ‘homes indiens’ aujourd’hui, de réappropriation identitaire, mais aussi culturelle, avec la réappropriation des arts, de la langue et de notre histoire, aussi. Notre histoire est très souvent effacée, vous n’entendrez jamais parler de l’esclavage des Amérindiens en Guyane, ou peut-être depuis très peu. Mais on n’en parle pas, nous ne sommes pas reconnus, ce sont avant tout les Afro-descendants et pas nous.

Encore aujourd’hui, beaucoup de choses sont remises en question, dans l’art ou dans d’autres domaines, même la musique. Comme si, finalement, ces milliers d’années que nous avons passées sur ces terres n’avaient servi à rien, n’avaient laissé aucune trace. Donc aujourd’hui, nous essayons de rétablir la vérité et nous essayons de montrer que nous sommes encore vivants et fiers d’être ici, fiers d’être sur ces terres, et nous les protégeons de toutes les manières possibles. Nous participons à des contre-congrès, comme des COP, par exemple, ou différents séminaires. Nous avons aussi de jeunes artistes, nous en présenterons une aujourd’hui, Clarisse Da Silva, qui participe aussi à cet activisme via l’art. Et donc je remercie tous ces jeunes, tous ces gens qui dénoncent au quotidien, qui parlent de la réalité des choses, et merci à vous aussi de nous écouter.

J’ai parlé de la réappropriation culturelle, identitaire, mais aussi des terres. Car je sais que vous savez, peut-être, qu’on parle beaucoup de l’environnement, et que chez nous aussi on souffre beaucoup, la terre souffre, et ce sont nos terres, celles de nos ancêtres. Même si nous avons du mal à nous la réapproprier, ça reste quand même la terre de nos ancêtres. Nos ancêtres sont enterrés dans ces terres, ils ont laissé des sépultures, ils ont laissé des vestiges. Il faut la protéger. Je dénonce aussi toutes ces grosses multinationales qui sont en train d’installer des mines à ciel ouvert et de nombreuses grosses centrales électriques qui nuisent à notre écosystème.

On parle du génocide humain qui est ignoré, du génocide culturel dont je vous ai parlé un peu, et aussi l’écocide, de nos jours, mais ça regarde tout un chacun, tout le monde ici, puisque nous vivons tous sur la même planète et malheureusement, elle va mal. Rien ne va plus, nous venons d’Amazonie et le poumon de la terre, actuellement, rejette beaucoup plus de CO2 qu’il n’en absorbe. Il faut faire quelque chose, il faut se réveiller.

Notre association lutte pour la protection de l’environnement mais aussi pour le rayonnement des arts et de la culture Kali’na. Alors n’hésitez pas à donner quelque chose pour continuer nos projets. Merci.

https://www.helloasso.com/associations/au-kae

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Les 6 populations Autochtones de Guyane ‘Française’:
Kali’na; Lokono (ou Arawak); Palikur; Teko (ou Émerillon); Wayãpi; Wayana
Cliquer pour plus d’infos sur Wikipédia

Vanessa Joseph et Clarisse Da Silva
Jeunesse Autochtone de Guyane
12 octobre 2019
Journée Annuelle de Solidarité, CSIA-nitassinan
Transcription et photos Christine Prat

Vanessa Joseph et Clarisse Da Silva, représentantes de la Jeunesse Autochtone de Guyane, ont participé à une table ronde, modérée par la journaliste Anne Pastor, au cours de la Journée Annuelle de Solidarité du CSIA-nitassinan, cette année consacrée au thème des Femmes Autochtones en lutte.

 Anne Pastor : […] En Guyane avec le fameux projet de Montagne d’Or, qui pourrait affecter de manière définitive le territoire, ce territoire français.

Vanessa Joseph : C’est un projet qui est « abandonné », avec de gros guillemets…

Anne Pastor : Justement, avec de gros guillemets. Alors, est-ce qu’il y a des gens qui ne connaissent pas encore le projet ? Vous voulez un petit rappel, sur le projet ?

Vanessa : Le projet Montagne d’Or est un projet de méga mine, donc large comme deux stades de France, suffisamment profond pour y mettre la Tour Eiffel sans qu’on en voie le sommet. Ils avaient l’intention de le faire en Guyane. Finalement, la population s’y est opposée, en tous cas une partie de la population. La pression nationale a fait que le Président est revenu sur sa décision et a décidé de mettre fin à ce projet, en tous cas le projet en l’état. A l’ONU, il y a quelques semaines, ils ont confirmé l’abandon de ce projet. Mais en fait, c’est plutôt une transformation du projet. Le projet en lui-même n’est pas validé, je pense dans sa dimension, dans tout ce qui avait été prévu pour le fonctionnement de cette mine. Aujourd’hui, on nous propose d’autres types de mines, des mines plus ‘vertes’, les mines les plus propres possibles, sachant qu’il n’y aura jamais de mine propre, elle rejettera toujours des déchets. Une mine reste une mine. Après, il y a des gens qui travaillent dans ce domaine, on verra où tout cela va nous mener. En tous cas, le projet Montagne d’Or n’est pas abandonné, il est juste abandonné en l’état, il va juste être modifié, c’est tout ce qu’il faut retenir.

Anne Pastor : D’autant que votre nature est déjà malmenée…

Vanessa : Oui, en tous cas, je suis sûre qu’il y a aussi des choses dont nous ne sommes pas au courant. Entre le bois, l’or et d’autres minerais qui font l’objet de recherches actuellement… Et il y a aussi l’orpaillage illégal, donc l’utilisation du mercure par les garimpeiros, des orpailleurs illégaux qui sont d’origine brésilienne pour la plupart. Il y a aussi des Surinamiens, il y a aussi des Français qui y participent. Donc, il y a utilisation de mercure, qui est rejeté dans les eaux de Guyane, donc les principaux fleuves sont touchés.

Anne Pastor : Ça a quand même des conséquences sur la chasse, la pêche, et forcément sur la santé des Amérindiens et des enfants.

Vanessa : La vie dans les villages tout court aussi. On sait très bien que la consommation de mercure porte atteinte à la santé de la personne, que ce soit des adultes ou des enfants, et des enfants à naître. L’orpaillage illégal amène aussi toutes sortes de trafics, des trafics d’humains, de la prostitution. Il n’est pas rare de voir des cas de prostitution dans nos forêts, des assassinats, des échanges de tirs avec les villages. J’ai pu le voir dans un reportage il y a quelques années, ils appelaient la Guyane le ‘Far West français’. Et dans l’intérieur, il est vrai que ça y ressemble plus ou moins. Pas totalement, ce n’est pas exactement ce qu’on essaie de vous faire croire, mais quand on vous dit qu’il y a des échanges de tirs, que certains villages vivent dans la crainte, c’est vrai.

Anne Pastor : Alors, effectivement, un climat d’insécurité et de violence qu’on trouve aussi, malheureusement, au Brésil, en Amazonie…

[Intervention de Daiara Tukano, voir article]

Anne Pastor : Est-ce que vous voulez rebondir sur la dernière phrase de Patricia Gualinga ? Qui dit que ce concept de forêt vivante pourrait être une alternative, en tous cas une idée à résoudre les conséquences du changement climatique, et en ce sens, le message qu’elle prononce à chaque conférence, est un peu celui-là. Aujourd’hui elle s’adresse au monde entier. En tous cas, on voit bien que, à travers l’importance des Droits de la Nature, de la Terre, et finalement toute la question toute la question identitaire qui est posée. Et, en particulier, pour vous, les Kali’na, vous qui êtes là depuis près de 10 000 ans sur votre terre d’origine, qui essayez de continuer à vivre avec votre mode de vie, votre langue, vos croyances, vous êtes engagés depuis quelques décennies dans un processus de revendications territoriales, de reconquête, même, de la terre,

Clarisse Da Silva : Là, on parle beaucoup de droit à la terre, de la relation avec la terre, donc c’est un sujet sensible en ce moment. Je pense que l’on va plus parler de la relation que nous avons avec la tradition et les cultures, donc la question identitaire en soi. Je suis artiste Kali’na, dans mon travail artistique je traite beaucoup de la question la question identitaire, la question de l’Autochtonie, de la relation que les jeunes ont avec les traditions, les coutumes, etc. Aujourd’hui, il faut savoir qu’en Guyane il y a une perdition de la culture. Je fais partie de cette génération qui n’a pas grandi avec la culture. C’est la conséquence des ‘homes Amérindiens’ – les Pensionnats. C’était une éducation religieuse obligatoire. Ma mère y est allée, toutes mes tantes et mes tontons y sont allés. Il y avait une évangélisation, une éducation à la française, il fallait chanter ‘La Marseillaise’, les langues Autochtones étaient interdites, et c’était toujours le cas il y a quelques années, c’est ce que nous avions dénoncé également. En internat ou en famille d’accueil, c’était pareil. Je pense, qu’inconsciemment, ma mère regardait ce processus selon lequel il ne fallait pas parler notre langue, donc nous avons grandi avec ça, nous ne parlons pas la langue Kali’na. Maintenant, nous faisons un travail là-dessus, nous essayons d’apprendre de plus en plus quelques mots, quelques phrases, ce qui n’est déjà pas mal. Mais avec le choc des sociétés, le mode de vie à l’occidentale, le développement, je ne suis pas en tenue traditionnelle, je porte des Airforce One, un pull à la mode, je parle français, je vais à l’école. Donc ma relation avec la tradition est un peu compliquée, je n’ai pas été tout de suite intéressée par tout ce qui était culturel. J’ai commencé à me revendiquer à l’âge de treize ans, puisque c’est quand j’ai commencé mon travail artistique. Ensuite, lorsqu’il y a eu des mouvements sociaux et une très forte revendication identitaire, ça a engagé les jeunes, d’où la visibilité de la Jeunesse Autochtone de Guyane. Maintenant nous essayons de nous réapproprier toute cette relation. Aujourd’hui encore il y a très peu de jeunes qui font l’effort d’aller en forêt, ils sont très peu intéressés. J’ai été l’une des premières jeunes qui suis allée en forêt avec Jean-Jacques Agevi, qui est un très grand artiste Kali’na, qui fait un travail de réappropriation. Et il faut ensuite pouvoir garder en tête et transmettre aux jeunes tout ce travail culturel. C’est vrai qu’aujourd’hui c’est très compliqué, il y a encore des histoires à apprendre, en tant que jeune, j’en apprend tous les jours.

Anne Pastor : Alors il faut quand même préciser, pour ceux qui ne connaissent pas bien ce sujet-là, c’est-à-dire qu’effectivement, avec la scolarisation massive, en particulier pour ceux qui étaient à l’intérieur, les 3000 Wayana ou Wayampi, ils devaient quitter, en fait, leur famille dès l’âge de onze ans pour aller sur le littoral, donc ils ne pouvaient pas suivre l’enseignement traditionnel, et, au bout du compte, c’est une génération qui est aussi en perte de repères. On parle beaucoup de drogue, d’alcool, mais aussi et surtout, et vous en avez beaucoup parlé, de taux de suicides absolument énormes, de vingt fois supérieurs à la moyenne nationale. Je crois que depuis le mois de janvier, dans la communauté Wayana, ils ne sont que 1500, et il y a quand même eu 13 suicides. C’est absolument énorme et, effectivement, peut-être que cette reconnexion, et ce travail que vous faites à travers l’art, permet de retrouver un peu toutes ces valeurs traditionnelles et de savoir qui ont est.

Clarisse : Effectivement. Aujourd’hui, la particularité de notre génération c’est qu’elle vit entre deux mondes et elle doit faire avec ces deux mondes. C’est-à-dire que nous devons pouvoir avancer avec notre identité, donc avec les coutumes, pour garder une connexion avec nos Anciens, avoir une connexion avec notre identité. Mais il faut aussi savoir s’intégrer, on parle beaucoup d’adaptation, c’est ce que nous faisons depuis des années. C’est souvent difficile, on le voit avec les suicides de jeunes Amérindiens. Ils sont ne sont pas habitués à la vie en ville, ils sont complètement en terre inconnue. C’est quelque chose que j’ai connu moi-même, je vis depuis un an en métropole, c’était très compliqué. C’est un autre mode de vie, nous sommes loin de la famille, loin du cocon familial. Heureusement, j’avais mes sœurs avec moi. Mais imaginez des jeunes qui partent tous seuls, c’est déjà difficile à Cayenne, alors imaginez, en France métropolitaine ! Et on parle aussi beaucoup de discrimination. Moi, j’étais en prépa artistique, j’ai voulu développer tout ce travail artistique autour de la culture et de la tradition, et c’est vrai qu’au cours de cette année, même si je me suis rendu compte, un peu trop tard à mon goût, ce qui a développé mon mal-être c’est le fait qu’on ait voulu contrôler mes messages, qu’on ait voulu contrôler cette quête identitaire. Certaines fois, on ne voulait pas que je fasse certaines choses, on voulait que je retire des symboles Kali’na de certaines productions, on voulait complètement déformer des dessins. C’était déjà assez violent, donc, si moi je l’ai vécu comme ça, et pourtant il y a pire, on peut se demander comment ça doit être pour des jeunes qui sont sans repères.

Anne Pastor : Finalement, ce que vous revendiquez c’est une identité propre, un droit aussi à la différence, d’être vous-même dans cet Etat français…

Clarisse : Oui !

Anne Pastor : Oui, mais il faut quand même le réaffirmer, parce que ce n’est pas forcément évident. Quand on suit, par exemple, des cours au collège et qu’on entend parler de TGV, d’autoroutes, on a l’impression qu’effectivement, toute l’identité Autochtone est totalement mise à part. exclue…

Clarisse : En fait, en Guyane, c’est autre chose. C’est une terre pluriculturelle, tout le monde vit en communauté. Nous sommes conscients de ce qu’il y a des Peuples Autochtones, qu’il y a des Peuples Bushinengués, des communautés créoles, haïtiennes, brésiliennes, etc. Nous vivons au quotidien avec ces différences, mais nous ne les voyons pas, ces différences. Un sujet sur lequel je travaille beaucoup aussi, c’est la manière dont l’ancienne génération vivait la Guyane et dans laquelle, maintenant, la nouvelle génération grandit. Avant, on voyait qu’il y avait d’un côté les Créoles, les Amérindiens de l’autre. Aujourd’hui, c’est un peu différent. Nous allons à l’école avec tout le monde, dans ma classe il y a des Créoles et des Brésiliens, des Bushinengués et des Hmong, et nous ne voyons pas nos différences. Je suis amie avec des Créoles, nous parlons facilement des problèmes politiques. Nous n’avons pas la même vision que la génération d’avant. Nous avons plus de facilités pour communiquer, et nous disons souvent que c’est quand la nouvelle génération va reprendre le flambeau que ça va mieux se passer. Et à l’école, j’ai toujours eu la chance d’avoir des professeurs qui nous faisaient des cours sur l’histoire de Guyane, qui nous poussaient à valoriser nos différences, valoriser nos cultures, donc, sur ce plan, nous avons été très bien encadrés. Je parle plus de la France métropolitaine où c’est difficile, mais en Guyane on commence à faire un travail de valorisation des cultures et je trouve que c’est une bonne chose, car en Guyane je ne me sens pas forcément mal. Ce n’est pas comme en métropole.

Anne Pastor : Effectivement. Et puis il y a des projets qui sont initiés, comme le projet SAWA [Savoirs Autochtones Wayana et Apalaï], qui est un projet qui a été initié par des anthropologues, le Quai Branly avec les Wayana, qui effectivement concerne leurs objets, parce que malheureusement, ces cinquante dernières années tous leurs objets ont disparu, ont été volés ou ont été vendus. Et donc, aujourd’hui, ils vont les voir dans les musées et font tout un travail de réappropriation de leur culture et de leur identité.

[Intervention de Daiara Tukano, voir article]