Intervention de Nataanii Means à Paris, le 13 octobre 2018, au cours de la 38ème Journée Annuelle de Solidarité du CSIA-nitassinan. Enregistrement Pascal Grégis du CSIA.

 

Nataanii Means English
Paris, 13 octobre 2018
Traduction Christine Prat, CSIA
Also published in English on Censored News

 

Nataanii s’est d’abord présenté à la manière traditionnelle puis a expliqué:

“Bonjour à tous, c’étaient mes salutations, que je suis supposé offrir chaque fois que je parle. Je peux me présenter en trois langues différentes. Je suis de trois Nations différentes. Je suis Oglala Lakota, Dineh – Navajo – et Omaha.”

“Pour ceux qui me connaissent, je suis venu ici chaque fois, les trois ou quatre dernières années. Et chaque fois, il se trouve que je me bats contre quelque chose de différent. Beaucoup de choses ont changé, depuis deux ans. Il y a deux ans, nous nous battions à Standing Rock. Et cette année, et bien, c’est dur d’être Autochtone, parce qu’il faut continuer, nous ne faisons que combattre, quoiqu’il arrive. Et en ce moment – nous passons sur l’année 2017 – cette année, nous combattons un autre oléoduc dans le Minnesota, la Ligne 3 de la compagnie Enbridge.

L’une des raisons pour lesquelles j’y participe, c’est que beaucoup de nos parents Anishinabe étaient à mes côtés pendant les sept mois à Standing Rock, à travers les dures épreuves. Et parce qu’ils ont fait cela, je me sens obligé d’être là-bas avec eux.

Standing Rock a été une expérience très instructive, pas seulement pour moi-même. Nous en avons appris beaucoup sur les oléoducs, et sur les tactiques utilisées, non seulement par la police, mais par les firmes de sécurité privées et les états.

Notre but maintenant est d’être efficace. Être efficace en retardant les travaux assez longtemps pour que ça coûte de l’argent à l’entreprise jusqu’à ce qu’elle doive abandonner le projet. Et, pour moi, être efficace de cette manière est toujours dangereux, mais c’est la voie la plus sûre que nous pouvons suivre.

L’an dernier, ils ont terminé la construction d’un oléoduc dans le Wisconsin, et dans le Nord du Canada, jusqu’au centre du Canada. Il y avait un groupe de gens qui s’appelaient le Camp Makwa, qui ont essayé de retarder les travaux jusqu’à l’hiver, dans le Wisconsin, pour repousser un peu l’oléoduc.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous vivons dans la plus grande superpuissance du monde. Le pouvoir militaire des Etats-Unis est présent partout dans le monde, et il était clairement présent à Standing Rock, où il a montré ce qu’il en avait à faire des populations d’origine de ce pays.

Ainsi, l’état du Minnesota avait un an pour approuver ou repousser cet oléoduc, par l’intermédiaire du comité de la PUC [Public Utilities Commission – Commission des Services Publics]. Ils l’ont approuvé par 5 voix à 0, ignorant totalement l’indignation du public. Nous avons fait sentir notre présence à ces gens qui approuvent ces oléoducs qui affectent directement les Autochtones vivant le long de leurs corridors. Ils ne nous ont pas regardés en face. Nous avons fait remettre la réunion, nous l’avons suffisamment perturbée, nous avons réussi à faire parler de nous dans le New York Time, le Los Angeles Times, et partout.

Vous savez, ces discours qui viennent d’être prononcés sur la décolonisation, tout ce qu’ils ont dit était vrai. Le subir en pratique est encore plus dur, le vivre est encore plus dur. En combattant des oléoducs, nous parlons de décoloniser un monde né drogué. Nous sommes accros au pétrole. Et nous ne pouvons pas être en manque. Si vous avez jamais vu un drogué en manque, c’est horrible. Et c’est ce que nous sommes, drogués, accros. C’est ce qu’est la race humaine actuellement, c’est une maladie, une addiction, c’est un virus. C’est ce que nous sommes maintenant.

Je veux dire, la Terre existe depuis environs 3 milliards d’années, et nous, depuis combien d’années sommes-nous là? 20 000 ans? Nous ne sommes pas vitaux pour cette Terre, nous ne sommes rien. Vous le savez, vous, puisque vous êtes ici. Mais ça accroît l’urgence de trouver de l’énergie renouvelable, de nouvelles solutions.

Aller à ces réunions, voir la tête de ces haut placés, les regarder en face, pour leur montrer qu’ils ne sont pas intouchables, est important. Parce que, si je peux choisir de rentrer chez moi, je n’ai pas d’endroit agréable où retourner. Je retourne là où les gens sont drogués, là où des gosses se suicident à l’âge de dix ans, là où mes cousins vendent de la méth. Je retourne là où les mines d’uranium et de charbon, là où les forages pétroliers et la fracturation nous donnent des cancers, maintenant. C’est notre réalité. Et il n’y a pas de vacances, pas de jours de congé, si vous êtes une personne autochtone, un Indien.

Alors, c’est ça le mobile pour être efficace contre la Ligne 3: parce que je suis fatigué du cancer, je suis fatigué des drogues qui nous arrivent, je suis fatigué de ce trafic sexuel de femmes Autochtones dans les camps masculins. Et tout cela… Surtout ces femmes Autochtones disparues ou assassinées, c’est un problème énorme, avec ces camps masculins qui s’installent. Ils font du trafic sexuel de nos femmes à cause de l’environnement raciste qui se développe. Ces projets d’extraction sont construits juste à côté des Réserves Indiennes. Et qu’y a-t-il aux alentours? Seulement nous.

Cet oléoduc est en train d’être construit à travers les champs de riz sauvage des Anishinabe, là où ils récoltent leur nourriture en été, et où ils ont découvert récemment un village vieux de 7000 ans, un village Dakota.

Après que le DAPL ait été construit, ils ont approuvé la Ligne 3, ils ont approuvé les gazoducs de LNG, le Canada a approuvé l’oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan, et le Keystone XL.

– Et Bayou Bridge!

– Bayou Bridge est en fait un prolongement du DAPL, et ils sont encore en train de le combattre.

Et le pétrole vient des sables bitumineux, et ces sables bitumineux sont le pétrole le plus mauvais, le plus empoisonné, le plus affreux qu’il existe. Le pétrole de Bakken est très mauvais, mais les sables bitumineux sont pires. Et ils essaient d’accroître les sites de sables bitumineux d’un quart, voire même deux quarts leur taille, maintenant.

Alors, je ne sais pas de quoi je parlerai si je reviens l’an prochain. J’espère que ce sera pour dire que nous avons battu la Ligne 3 et le Bayou Bridge!

Vous savez, même dans nos terres ancestrales, où se trouve le Monument National de Bears Ears [en Utah], ils essaient de l’ouvrir à l’exploration, au forage pétrolier et à la fracturation. Ils pratiquent aussi la fracturation en Pays Navajo, à un rythme effréné. C’est écrasant, parce que nous sommes sur les lignes de front, que ça nous plaise ou non, que nous le choisissions ou pas, nous sommes forcés d’être sur les lignes de front.

Les gens oublient qu’il y a plus de 560 Nations Autochtones, rien qu’aux Etats-Unis. En tant qu’Autochtones, nous constituons 0,8% de la population des Etats-Unis. Et nous sommes ceux qui combattons ces horreurs! Alors, c’est là que VOUS entrez en jeu! Venez vous faire arrêter maintenant! Nous encourageons nos alliés à la couleur de peau privilégiée dans le système, de faire ce qu’ils peuvent pour faire bouger les choses, pour faire du bruit et semer la perturbation, en tant qu’alliés des Autochtones.

Et je vous remercie tous d’être ici, d’écouter, de rester dans cette pièce trop chaude. Donc, quand nous repartirons d’Europe, nous devrons retourner à tout ça. Ça peut sembler bizarre quand je le dis, mais ce n’est pas drôle de rentrer chez nous. Nous allons continuer à combattre, à faire de notre mieux, et continuer indéfiniment à le faire.”