Par « Under the Concrete », site tenu par une personne – universitaire – qui réside actuellement à Tucson et a beaucoup écrit sur l’affaire des Pics San Francisco
Original article in English

Traduction Christine Prat

26 juillet 2012

Lorsque l’avocat Howard Shanker a deposé une plainte contre le Service des Forêts des Etats-Unis en 2010, il n’aurait jamais pu imaginer que les choses tourneraient ainsi. Non seulement les questions de fond de l’affaire ont été quasiment ignorées pendant toute la procédure, mais un jury de trois juges nommés de la Cour du 9ème Circuit tient M. Shanker pour personnellement responsable financièrement de quelques dépenses occasionnées à la firme Snowbowl dans cette affaire.

« Cette situation est inimaginable » dit M. Shanker à propos des sanctions prises contre lui. Il n’y a rien dans le dossier pour soutenir de telles allégations contre moi. Le jury et les avocats de Snowbowl m’ont accusé de toutes sortes de manquements à une conduite professionnelle. C’est scandaleux. Si les juges n’avaient pas l’immunité, je les poursuivrais pour calomnie ou responsabilité. »

Le jour où M. Shanker a déposé sa réponse à la demande préemptive de Snowbowl que la Cour lui ordonne de payer plus de 32 000 dollars, il a expliqué comment on en était arrivé là.

En 2005, apprenant que la Forêt Nationale de Coconino approuvait la fabrication de neige artificielle à la station de ski Arizona Snowbowl, plusieurs tribus et des groupes écologistes ont demandé le soutien gratuit de M. Shanker. Ils ont déposé une plainte contre le Service des Forêts des Etats-Unis, arguant que l’utilisation d’eaux usées recyclées violait leur liberté religieuse. « La cour inférieure a jugé contre nous sur tous les points », dit M. Shanker « alors nous sommes allés en appel. »

L’année suivante, un jury de trois juges du 9ème Circuit a jugé en faveur de M. Shanker et des tribus, affirmant qu’Arizona Snowbowl ne pouvait pas utiliser des eaux usées recyclées pour faire de la neige artificielle. « Nous avons gagné aussi bien sur le plan religieux que culturel et nous avons aussi gagné sur la question de la conformité à la Loi sur la Politique Environnementale Nationale [NEPA, National Environmental Policy Act – NdT], étant donné que le Service des Forêts n’avait pas suffisamment pris en compte la possibilité d’ingestion humaine d’eau d’égout dans leur Avis d’Impact Environnemental. »

En octobre 2007, la Cour d’Appel du 9ème Circuit a accordé au Ministère de la Justice et à Snowbowl le droit de faire appel en session plénière. « Çà s’est passé devant un jury de 11 juges et la décision a été de 8 contre 3, suivant une ligne de fracture politique, je pense – 8 Républicains [nommés par les présidents Nixon, Reagan ou Bush] ont voté contre nous, et 3 Démocrates [nommés par les présidents Kennedy, Carter ou Clinton] en notre faveur – la majorité Républicaine ayant jugé qu’il n’y avait pas d’obstacles significatifs à la pratique de la religion » a expliqué M. Shanker à propos de la décision d’août 2008 autorisant Snowbowl à faire de la neige à partir d’eaux usées recyclées. « Ainsi, ils sont totalement revenus sur la décision concernant les questions religieuses et culturelles. Mais sur la question de ‘possible ingestion’ cependant, ils ont jugé qu’elle n’avait pas été soulevée convenablement devant la cour inférieure. Donc la question restait ouverte et n’avait jamais été jugée sur le fond, selon ce jury en session plénière. »

En janvier 2009, les tribus se sont adressées à la Cour Suprême des Etats-Unis. En juin de cette même année, la Cour Suprême a fait savoir qu’elle « n’entendrait pas » l’affaire, confirmant ainsi la décision de la session plénière de la Cour du 9ème Circuit de 2008.

Mais il restait la question non résolue du non-respect de la Loi sur la Politique Environnementale, une plainte sur laquelle le premier jury de trois juges avait fourni une analyse approfondie mais que le Service des Forêts n’avait pas vérifiée dans sa Déclaration d’Impact Environnemental. Et si des gens avalaient de la neige artificielle ? Bien sûr, des skieurs tomberaient face en avant dedans et des enfants seraient tentés de manger de la neige, sans se rendre compte qu’elle est faite d’eau d’égout recyclée. Que leur arriverait-il ? Quel taux d’exposition est considéré sans danger ? Rien dans l’Etude d’Impact Environnemental ne fournit des données chiffrées en réponse à cet argument sérieux, comme le ferait toute étude scientifique digne de ce nom.

Dans Flagstaff, des panneaux préviennent contre des contacts directs avec l’eau recyclée. Pendant les mois où il y a du vent, on a appris récemment que les ouvriers qui arrosent les chantiers avec de l’eau recyclée pour retenir la poussière devaient avoir régulièrement des injections contre l’hépatite B comme précaution contre une éventuelle contamination. Quels sont les effets d’une telle exposition pour les skieurs, pour les ouvriers ? Il n’y a pas de réponse à ces questions parce que le Service des Forêts n’a pas suivi la procédure exigée par la Loi sur la Politique Nationale Environnementale pour répondre à ces questions.

M. Shanker a expliqué que, concernant cette question toujours ouverte, « la Coalition Save the Peaks et 9 citoyens se sentant concernés qui n’étaient pas des parties dans l’affaire impliquant la Nation Navajo, ont pris contact avec moi en déclarant vouloir poursuivre sur cette question ». Ainsi, en 2010, une autre plainte a été déposée, au nom d’autres parties. « La plainte était tellement justifiée ; tout ce qu’il y avait, c’était la décision de ce jury de trois juges disant que le Service des Forêts n’avait pas considéré ce problème de manière adéquate ; la question était non résolue sur le fond », dit M. Shanker. « Donc nous l’avons ramenée devant la cour de district et j’ai supposé que ce ne serait pas difficile ; je pensais que nous allions gagner facilement. »

Au lieu d’approfondir les détails de la plainte de M. Shanker pour non-conformité à la Loi sur la Politique Environnementale Nationale, l’affaire a été rejeté sans véritable discussion. Une cour de district s’est prononcée contre lui suivant la doctrine dite de laches, une règle de procédure qui peut déclarer qu’une des parties « s’est endormie sur ses droits » ou ne s’en est pas réclamée à temps. « Donc, j’ai été choqué par le résultat. Donc, nous avons fait appel, présumant que nous gagnerions sur le fond, ainsi que sur la doctrine de laches, et nous nous sommes retrouvés devant ce jury hostile. »

En janvier de cette année, le jury de trois juges – tous nommés par Nixon, Reagan ou Bush – ont choisi d’ignorer le fond de la plainte de M. Shanker sur le non respect de la Loi sur la Politique Environnementale Nationale et ont continué à faire valoir des questions de procédure. Lorsqu’il a souligné que la plainte de l’affaire de la Nation Navajo n’avait pas été résolue, il s’est vu répondre que cette affaire « n’existait plus ». « Ce qu’ils disent, et qui est erroné, c’est que le jury en session plénière a liquidé l’affaire. Cependant, le traitement de l’affaire en session plénière n’implique pas l’automoatice vacatour [c’est du Latin – NdT], le jury en session plénière a simplement indiqué que la décision ultérieure ne pouvait être invoquée comme un précédent » a ajouté M. Shanker. « Mais elle pouvait cependant être discutée à titre informatif. C’est-à-dire que la cour ne peut pas faire croire qu’elle n’a jamais existé. »

Le Juge Milan D. Smith Jr. a exprimé son opinion dans le document rendant la décision du jury en février, en écrivant que M. Shanker « avait grossièrement abusé du système judiciaire » en soutenant cette deuxième plainte contre la station de ski, après avoir perdu une affaire « quasiment identique » pour le compte d’un autre client ; ceci bien que la plainte pour non-conformité à la Loi Environnementale n’ait jamais été complètement traitée par le jury en session plénière.

« C’est extrêmement frustrant. J’étais plutôt cynique autrefois, mais maintenant notre système judiciaire est de toute évidence détruit. Enfin, vous avez exactement la même loi et les mêmes faits, et un jugement en notre faveur précédemment par un jury de trois juges et maintenant ils jugent contre sur le fond et m’accusent d’abuser du système judiciaire » ajoute M. Shanker. « Çà n’a pas de sens. »

Lorsque M. Shanker a demandé une révision de l’affaire, sa demande a été rejetée par le même juge qui avait décidé de renverser la décision du 9ème Circuit de 2006 – le Juge Principal Alex Kosinski, nommé dans les années Reagan. Ensuite, les avocats de Snowbowl ont utilisé les mots de la décision du Juge Smith pour demander à la cour de prendre des sanctions contre M. Shanker et les plaignants, réclamant au départ 280 000 dollars. Emettant son opinion sur cette demande, le Juge Smith est même allé plus loin, accusant non seulement M. Shanker de « mauvaise foi » et d’abus du système judiciaire, mais aussi de « tromper ses clients. »

« Ils ont fondé leur demande de sanctions sur le langage employé par le jury » dit M. Shanker. « Il y a ces deux avis du 9ème Circuit qui ont été publiés et qui disent que ‘ j’ai grossièrement abusé du système judiciaire.’ Smith et les deux autres juges membres du jury ont attaqué ma crédibilité et mon professionnalisme sans fondement. Il n’y a rien dans le dossier d’appel ni dans les faits retenus par la cour inférieure qui justifie ces accusations inexactes sorties pour la première fois par un jury composé de juges ».

M. Shanker trouve curieux que la firme Snowbowl demande des sanctions, vu qu’ils étaient représentés en tant qu’ « intervenants privés » dans l’affaire. « Ainsi, la cour me juge ‘de mauvaise foi’ essentiellement parce que nous essayions d’obliger le Gouvernement Fédéral à respecter une loi fédérale. Nous n’avons jamais poursuivi Snowbowl, » dit Shanker. « Ils ont déposé des requêtes afin d’intervenir dans l’affaire comme accusé. Ils voulaient être impliqués dans l’affaire. Ce qui arrive est tout à fait remarquable. »

Amicus Curiae est une expression latine qui signifie « ami de la cour ». Un Amicus Brief est un document légal préparé par des individus ou des groupes d’individus qui, bien que n’étant pas partie dans une affaire, ont un intérêt ou un point de vue important sur le sujet d’une décision de justice. »

Un tel document a été déposé le 16 juillet pour soutenir M. Shanker, avocat non rémunéré de la Coalition Save the Peaks. Le document a été déposé au nom de l’avocat des consommateurs et critique social Ralph Nader, des professeurs de droit de l’Université de l’Etat d’Arizona Myles V. Link et Gary Marchant, de l’Association pour les Affaires des Indiens d’Amérique, de la Fondation pour les Droits des Autochtones Américains, de l’Alliance des Femmes pour la Terre, de l’Institut Morning Star et du Centre pour la Diversité Biologique. Pour de nombreuses raisons décrites dans le document, les signataires de l’Amicus Brief soutiennent l’appel de M. Shanker contre la décision de la cour.

Le sentiment qui prévaut parmi ceux qui soutiennent l’appel de Shanker est l’inquiétude que de telles actions de la cour, intentionnelles ou non, pourraient décourager les juristes d’intervenir dans des affaires similaires, politiquement sensibles, concernant l’environnement et les droits de l’homme. Comme M. Marchant le souligne, cette implication n’a rien à voir avec le fond de l’affaire. « Tout en ne prenant pas parti sur le fond de l’affaire … prendre des sanctions découragerait les avocats de défendre des affaires sujettes à controverse concernant la politique publique, et serait un obstacle au rôle important des cours de justice d’offrir un forum publique pour entendre et résoudre de tels problèmes. »

Des groupes comme la Fondation pour les Droits des Autochtones (NARF) craignent que des sanctions contre M. Shanker aient des conséquences sur leurs activités, que de tenir des avocats non rémunérés comme Shanker pour responsable personnellement des coûts de Snowbowl « pourraient affecter gravement et négativement les capacités de NARF de défendre des affaires particulièrement difficiles ou impopulaires. » De même, l’Institut Morning Star « craint que des sanctions contre l’avocat dans cette affaire tuent l’enthousiasme d’autres avocats dont l’aide est demandé pour des tribus, des nations, des pueblos et autres Amérindiens qui n’ont pas d’autres moyens de chercher à obtenir justice. »

Le soutien exprimé par les signataires de l’Amicus Brief fait écho aux inquiétudes de beaucoup de gens qui ont été choqué en apprenant que des sanctions avaient été demandées contre M. Shanker. Ainsi, Bennet Kelley a écrit dans le Huffington Post, « Imaginez une Amérique dans laquelle les avocats n’oseraient plus s’en prendre aux plus puissants, quelques soient leurs crimes, de peur d’être totalement ruinés. Plus de Thurgood Marshalls, plus de Ralph Nader, plus de Howard Shanker. »

« Le message envoyé par la Cour du 9ème Circuit est clair » écrit Stephen Brittle, président de Don’t Waste Arizona [Ne Dilapidez Pas l’Arizona]. « Si vous vous souciez de l’environnement ; si vous voulez protéger les sites sacrés des Amérindiens ; ou si vous voulez simplement vous assurer que le gouvernement fédéral respecte ses propres obligations vis-à-vis de l’environnement, allez vous faire voir. Vous n’êtes pas les bienvenus au 9ème Circuit. Vous n’avez pas droit à un procès juste. »

One Response to SOUTIEN NATIONAL POUR L’AVOCAT DES SAN FRANCISCO PEAKS, OBJET D’ATTAQUES « SCANDALEUSES »

  1. […] SOUTIEN NATIONAL POUR L’AVOCAT DES SAN FRANCISCO PEAKS, OBJET D’ATTAQUES « SCANDALEUSES » Says: July 31st, 2012 at 2:04 pm […]