Par Klee Benally
13 juin 2022
Traduction française Christine Prat, CSIA-Nitassinan

Incendie À La Montagne

Notre montagne sacrée brûle.

Les plantes médicinales brûlent. Elles avaient déjà été profanées par l’épandage d’eau d’égout à la station de ski Arizona Snowbowl, pour faire de la neige artificielle.

Cette nuit, le Conseil Municipal de Flagstaff a tenu une réunion d’urgence pour discuter de l’utilisation des eaux usées des réserves de 40 millions de litres de Snowbowl, pour combattre le feu. Il est clair qu’ils ne comprennent pas que la désharmonie causée par la profanation extrême de Snowbowl a précipité ces déséquilibres météorologiques et écologiques. Non seulement cette action sacrilège va ajouter une insulte à la blessure, mais ça va aussi répandre la contamination de ces eaux usées aux zones de la montagne qui sont en train de brûler.

L’(il)logique coloniale qui a d’abord autorisé la profanation de la zone de ski, est la logique qui saccage ce sensible écosystème montagneux, et fait que maintenant la plus petite étincelle y met le feu.

C’est notre Notre-Dame qui brûle, cependant le racisme, ou, plus clairement, l’anti réalité Autochtone à laquelle 13 Nations Autochtones ont été confrontées au cours des luttes pour protéger ce site sacré, est en train d’être étouffée dans les cendres brûlantes et sera très probablement enterrée dans les blessures qui ne peuvent jamais guérir complètement.

Que la Ville de Flagstaff puisse entretenir cette notion sacrilège, juste après avoir lu leur « reconnaissance du territoire », est l’hypocrisie contre laquelle tant d’entre nous ont prévenu et protesté. Mais d’autres, la fumée dans les yeux, ont refusé de voir et continuent d’entretenir la compagnie de ces serpents politiques qui rampent dans les forêts mourantes de la montagne. De la liaison Tribale, qu’ils sont leurs salariés, au Cercle Autochtone de Flagstaff, ces entités prennent part à cette violence culturelle irréparable.

J’ai le cœur brisé pour notre peuple. L’avertissement avait été clair et maintenant il faut que la montagne brûle. Mais ce qui m’inquiète est que nous ne voyions ni n’entendions les paroles des praticiens de la médecine traditionnelle qui avaient averti de ces catastrophes, de la maladie et du grave déséquilibre écologique, conséquence des profanations continuelles du sacré.

Nos plantes médicinales repousseront, avec des offrandes la montagne se refroidira, et les sources pourraient revenir dans beaucoup de temps, mais ça prendra combien de générations ? Serons-nous même reconnus par notre mère la Montagne si nous ne faisons pas attention aux avertissements que cette fumée apporte ? Si le feu dans nos yeux et nos narines ne suffit pas, qu’est-ce qui suffira ?

J’ai le cœur brisé pour les animaux brûlés ou déplacés.

J’ai le cœur brisé pour nos parents SDF qui seront sans aucun doute encore criminalisés, parce qu’on saute à des conclusions alléguant que le pyromane serait SDF, et parce que le sentiment anti-SDF est général à Flagstaff. Les Forêts seront bien entendu fermées aux campeurs, et ça implique que beaucoup de ceux qui ne peuvent pas camper dans les limites de la Ville, à cause du décret anti-camping, ou ceux qui choisissent simplement de vivre librement dehors sur des « terres publiques » pendant leurs deux semaines de congé, seront déplacés plus loin et vilipendés. Leurs problèmes ont à peine été pris en considération lors du dernier incendie grave, et maintenant, ils auront encore plus de préjugés politiques et classistes contre eux.

Combien de ceux qui vivent dans les zones touchées risquent de perdre leur logement, si ce n’est dans cet incendie, dans l’inévitable prochain ? Ou à cause d’inondations causées par les traces d’incendie ? Qu’arrivera-t-il si eux aussi sont forcés de vivre dans la rue ?
C’est difficile de dormir avec des problèmes si importants qui brûlent dans vos pensées. Et j’imagine que beaucoup de gens ne peuvent se reposer dans les abris d’urgence, se demandant ce qui va arriver à leurs maisons. J’ai le cœur lourd pour tous ceux qui ne peuvent trouver le repos dans leurs propres lits cette nuit, et la suivante, et la suivante.

« Evacuez et dirigez-vous vers l’abri le plus proche, emmenez votre bétail dans la zone assignée, préparez-vous pour l’inondation… » Je prie pour que le cycle cauchemardesque ne devienne pas une routine,

Mais il semble que ce le soit déjà.

Nous entendons cela chaque fois que le feu se rapproche, « Si des maisons sont perdues, elles seront reconstruites. »

Même Notre-Dame est reconstruite de ses cendres.

Mais comment peut cette montagne sacrée, notre foyer spirituel, se remettre, si le remède immédiat est une nouvelle profanation ? Une telle part de ce sanctuaire sacré, où habitent des êtres sacrés et des remèdes sacrés, a déjà été ravagée par Snowbowl et par des incendies, que ça nous rapproche toujours plus d’un abîme terrible. Des praticiens de médecine traditionnelle ont déclaré que nous avons déjà franchi un seuil irrévocable. Ces crises ont aussi été racontées dans les géographies de notre histoire, leurs assertions précautionneuses ont été perdues partout, en dehors des cérémonies.

Si nous ne pouvons pas voir que l’« homme » a fabriqué ces crises et les souffrances qui s’en suivent en « civilisant le monde », nous continuerons à ne pas voir comment la crise du changement climatique n’est pas seulement construite par les mêmes mains, mais directement connectée aux multiples incendies répandus à travers tout le sud-ouest occupé.

Je vous demande de regarder dans les braises et de voir la possibilité de guérison que le feu apporte aussi, et que le feu à la montagne peut d’une certaine manière, être notre propre reflet. J’ai déjà affirmé auparavant que ce que nous faisons à la montagne, nous le faisons à nous-mêmes. Ça n’a jamais été aussi vrai, et cependant, ça n’a jamais été autant nié.

Snowbowl menace de s’étendre encore et de faire encore plus de neige d’eaux usées, et les politiciens et des membres de la communauté (même des Autochtones assimilés) se rallient pour les soutenir.

La profanation de cette Montagne sacrée doit arrêter immédiatement pour que notre mère puisse se reposer. C’est nécessaire aussi pour que nous puissions guérir de la pandémie mortelle qui continue à ravager ces territoires.

Tandis qu’il y a des actions immédiates qui peuvent et sont prises, peut-être que la plus décisive serait de restaurer l’harmonie pour vivre dans la bonne relation avec le sacré.

Le dé-Service des Forêts a fait obstacle et démontré que non seulement il ne pouvait pas, mais ne voulait pas soutenir la « gestion » Autochtone, étant donné qu’il préfère faciliter et chercher des bénéfices de la profanation. Qu’il s’écarte et nos gardiens du savoir sacré peuvent s’assurer que la restauration soit complète et bénéficie à tout ce qui existe.

Les administrateurs politiques et économiques de la Ville de Flagstaff devraient s’écarter de la même façon. Mais ils sont trop myopes et trop mous pour faire quoique ce soit de nécessaire. Pour être clair, le poids du capitalisme et du colonialisme devrait disparaitre avec eux.

Et avant que la fragilité du colon frappe avec le réflexe de bazar « mais où irions-nous tous ? » Ce qui est une question qui ne fait que renforcer les violences du colonialisme de peuplement (de même, est-ce que qui que ce soit ose poser cette question absurde aux Palestiniens ? [Oui, ils osent – Ch.P.]), pourquoi ne pas respirer un peu de cet air enfumé et demander « Que pouvons-nous faire de sensé pour vivre dans la bonne relation avec les peuples d’origine de ces terres ? » La justice anticoloniale est troublante, ne restez pas coincés par les conséquences de culpabilité ou du sens de droit incorporés dans plus de 500 ans de domination, de génocide, d’esclavage et d’écocide, mais laissez-nous être le guide. Cela signifie engager une conversation qui ne peut être établie dans le contexte d’invasion violente et d’occupation (demandez à la plupart de Ukrainiens, en ce moment), et cela signifie établir une réponse continue à l’effrayante question « comment pouvons-nous vivre en harmonie ? » N’attendez-pas les mairies et les conseils d’experts, ayez ces conversations avec votre famille, vos voisins et des gens rencontrés par hasard. Ou nous construisons cette mutualité dans l’espace horizontal de crise au milieu des flammes, ou les lignes des incendies sont tracées et s’approfondissent (ne délirez pas, ceci n’est pas un combat de plus).

Ceci n’est pas une proposition si radicale, c’est en fait comment la vie existait, dans la réciprocité, pendant des générations, jusqu’à il y a à peine 100 ans, ici, au pied de cette montagne sacrée. La guérison dont nous avons besoin ne peut pas venir des mêmes systèmes qui bénéficient de la destruction de notre monde naturel. Cette guérison n’est pas radicale, c’est une restauration.

En dépit du vulgaire côté marchand, c’est peut-être ce que certains veulent dirent quand ils appellent à « rendre la terre » ?

En regardant les points rouges fumants à travers cette Montagne sacrée, j’aime à penser « en avant, avec la Terre » plutôt que « rendez la terre » parce que ça me semble être la seule manière qui ne nous consumera pas tous.

Que les empires brûlent et ne soient jamais reconstruits de leurs cendres. C’est la guérison pour laquelle je prie.

Du pied de Dook’o’oosłííd et dans la fumée âcre,

Klee Benally

 

 

Vidéo de Klee enchaîné, filmé par M.T. Garcia, sous-titres Ch. Prat

 

KLEE BENALLY S’ENCHAINE A UNE EXCAVATRICE

Par Brenda Norrell, Censored News

Traduction Christine Prat

Original article in English : Censored News photos-klee-benally-chained

Dimanche 14 août 2011

FLAGSTAFF, Arizona – Le Navajo Klee Benally s’est enchaîné à une excavatrice sur la Route de Snowbowl samedi 13 août, après qu’une machine ait interrompu une assemblée de prières sur les Pics San Francisco. Rudy Preston, agent de liaison avec la police de Protect the Peaks, et Mary Sojourner, écrivain, ont été arrêtés. Ils ont tous deux été libéré sous caution de la prison du comté de Coconino, d’après un message envoyé à Censored News à 1h30 du matin, dans la nuit de samedi à dimanche.

Enchaîné à une excavatrice, Klee déclara « C’est ici que nous traçons une ligne rouge, c’est ici que nons disons çà suffit ! »

« Vous êtes des criminels. Vous autorisez la profanation de ce qui nous est sacré. Vous menacez notre survie culturelle. »

« Quelle part de la notion de sacré ne comprenez-vous pas ? » poursuivit Benally. Ses mots furent répétés par des supporters rassemblés sur le site lorsque la police arriva et qu’un agent du Service des Forêts surgit des bois d’où il les avait filmés.

Benally, toujours enchaîné à l’excavatrice, ajouta « Ceci n’est pas un jeu. Ce n’est pas du spectacle. Ce n’est pas pour les média. C’est pour empêcher cette profanation de continuer. »

Ces mots furent répétés en écho par les autres Amérindiens rassemblés pour bloquer la destruction.

L’écrivain de Flagstaff Mary Sojourner et l’agent de liaison avec la police de Protect the Peaks Rudy Preston furent arrêtés sur place. Preston a été inculpé de deux chefs de trouble à l’ordre publique et d’intrusion illicite. Sojourner a été inculpée tard dans la soirée de dimanche. Klee Benally a été cité à comparaître pour trouble à l’ordre publique puis relâché.

Klee Benally a une réputation internationale comme chanteur du groupe de frères et sœur Navajo Blackfire et comme organisateur d’efforts de défense des San Francisco Peaks contre la destruction.

Mary Sojourner est auteur de deux romans, Sisters of the Dream et Going Through Ghosts ; d’un recueil de nouvelles, Delicate ; d’un recueil d’essais, Bonelight : ruin and grace in the New Southwest ; de mémoirs, Solace : rituals of loss and desire et She Bets Her Life.

Avant l’action de ce dimanche, 17 personnes avaient été arrêtées au cours des huit derniers jours, alors que des Navajos, des Hualapais, des Hopis, des O’odham et d’autres Amérindiens protestaient contre la destruction des montagnes sacrées.

Il est demandé aux touristes de boycotter la station Arizona Snowbowl, propriété d’Eric Borowsky de Scottdale (Arizona).

Pendant la semaine d’action, Protect the Peaks a manifesté devant le siège du Service des Forêts, l’Hôtel de Ville de Flagstaff, et le siège de High Desert Investment Company. High Desert Investment Company, responsable de l’abattage massif d’arbres sur les Pics San Francisco, est la propriété de G. Allen Ribelin, qui possède aussi High Investment Logging à Flagstaff.

La station Arizona Snowbowl a l’intention de fabriquer de la neige pour les touristes à partir d’eaux usées recyclées. Treize Nations Amérindiennes considèrent les montagnes comme sacrées. Les « medicine men » y cueillent des plantes médicinales et y organisent des cérémonies.

L’abattage d’arbres plusieurs fois centenaires a déjà commencé, pour faire passer le pipeline (qui doit amener les eaux usées) et autres projets de l’industrie du tourisme.

Les jeunes Amérindiens sont prêts à se faire arrêter pour mettre un terme à la destruction.

 

Plus d’infos en Anglais :
www.indigenousaction.org
www.truesnow.org

Plus de photos sur Censored News

 

BLACKFIRE dans la lutte : alors que le chanteur et guitariste Klee s’enchaînait sur le site des travaux, Jeneda et Clayson transmettaient le message au festival où le groupe devait se produire. Voir la vidéo sur youtube :

http://www.youtube.com/watch?v=yOnsbc97kk8

 

Lettres et courriels de soutien ou de protestation
Voir Page SAVE THE PEAKS / SAUVEZ LES PICS