La Nation Navajo est la communauté la plus dévastée par l’épidémie des Etats-Unis. L’article ci-dessous est un extrait d’un texte beaucoup plus long, que vous trouverez sur ce site. Le texte a été écrit en mai 2020 par Klee Benally et publié partiellement à l’époque. Dans ce texte, Klee Benally retrace l’historique de la Réserve Navajo, de son exploitation et du bouleversement que ça a causé dans le mode de vie des Navajos, avec pour conséquence que leur santé s’est beaucoup dégradée, ce qui les a rendus plus réceptifs aux maladies, aux virus, et au coronavirus en particulier. Le texte va beaucoup plus loin que l’analyse de la situation actuelle. Il dénonce le colonialisme, l’exploitation sauvage des ressources minières, les changements forcés du mode de vie Navajo, l’incompatibilité absolue entre la société capitaliste et les – saines – traditions Navajo.

Christine Prat

Par Klee Benally (extraits)
Publié par Indigenous Action Media
22 avril 2021
Traduction Christine Prat, CSIA-Nitassinan

Diné Bikéyah (la Nation Navajo) a fait face au plus haut pourcentage de cas de COVID-19 de tous les états coloniaux de peuplement des Etats-Unis.

Est-ce que cette pandémie a touché notre peuple hors de toutes proportions seulement parce que nous manquons de lignes électriques et de plomberie ? Est-ce seulement parce qu’il n’y a pas d’énormes centres commerciaux dans tous les coins de notre réserve ? Serions-nous vraiment mieux immunisés contre cette maladie si chaque membre de notre tribu avait un emploi ?

Déshumaniser les récits a toujours fait partie du décor, ici dans le Sud-ouest aride. Si vous clignez des yeux sur votre route vers le Grand Canyon, c’est facile de manquer le contexte brutal de colonisation et l’expansion du capitalisme. Nous vivons ici et nous ne le voyons même pas nous-mêmes. Nous sommes trop occupés à planter le panneau ‘Gentils Indiens Derrière Vous’.

Alors que les politiciens de la Nation Navajo imposent des couvre-feu strictes le weekend, interdisent les rassemblements cérémoniaux, et restreignent l’aide mutuelle indépendante. Alors que les soi-disant ‘villes-frontière’ de la réserve, notoirement racistes comme ‘Gallup, Nouveau-Mexique, se débarrassent de nos parents SDF contaminés et instaurent des ‘Décrets anti-Émeute’ pour restreindre le flux de Diné qui dépendent des provisions entassées dans leurs centres commerciaux, le spectre du but historique du système de réserves nous hante comme un fantôme négligé, qui retient chacune de nos respirations, qui s’accroche à nos os.

Ce qui est omis dans le spectacle fiévreux du tourisme de désastre du COVID-19, c’est que ces statistiques sont dues aux attaques permanentes contre nos modes de vie culturels, notre autonomie, et, par extension, notre autosuffisance individuelle et collective.

Alors que les privations économiques et la rareté des ressources sont les réalités auxquelles nous sommes confrontés, notre histoire est beaucoup plus complexe et plus puissante que cela, c’est une histoire d’espace entre l’harmonie et la dévastation. C’est l’histoire de nos ancêtres et des générations à venir. C’est une histoire de ce moment de mutualisme et de résistance Autochtones.

La Colonie d’exploitation des ressources Navajo et le COVID-19

La violence coloniale et la violence contre la terre ont rendu notre peuple plus réceptif aux virus tels que le COVID-19.

Tandis que le virus se répand de manière invisible à travers notre région, un nuage de méthane de 6500 km², dont on ne parle pas non plus, flotte au-dessus des terres Diné, ici, dans la région des ‘Quatre Coins’. Des chercheurs de la NASA ont déclaré que « la source est vraisemblablement l’extraction et le traitement de gaz, de charbon et de méthane de houillères ». Le méthane est le second plus important gaz à effet de serre émis aux soi-disant ‘Etats-Unis’ et peut être jusqu’à 84 fois plus puissant que le dioxyde de carbone.

Deux énormes centrales au charbon, la San Juan Generating Station et la Centrale de Four Corners fonctionnent dans la région. Prises comme une seule entité, ces deux centrales sont le deuxième consommateur de charbon des ‘Etats-Unis’. La plupart de l’énergie produite est transmise directement, en passant le long des maisons de la réserve, aux colons en ‘Arizona, Nevada et Californie’.

On sait depuis longtemps qu’au fil du temps, respirer la pollution de sources telles que des centrales au charbon endommage les poumons et affaiblit la capacité à lutter contre les infections respiratoires. Les universités coloniales des USA et des médias ont admis que l’exposition à la pollution de l’air accroissait le taux de mortalité du COVID-19. En même temps, l’Agence pour la Protection de l’Environnement (EPA) a assoupli les règles environnementales pour les pollueurs, en réaction à la pandémie, ouvrant ainsi la porte à des projets d’extraction coloniaux imposés sur les terres Diné, afin qu’ils intensifient leurs activités.

Selon un récent rapport intitulé « Exposition à la pollution de l’air et mortalité du COVID-19 aux Etats-Unis », les malades atteints du COVID-19 dans les régions impactées par de hauts niveaux de pollution de l’air avant la pandémie, sont plus susceptibles de mourir du virus que les malades d’autres régions des ‘USA’.

Le New York Times a publié un article sur le rapport, disant qu’ « une personne exposée à de hauts niveaux de particules fines a 15% de risque de plus de mourir du coronavirus qu’une autre dans une région avec seulement une unité de pollution aux particules fines de moins. »

Le rapport dit aussi que « bien que l’épidémiologie du COVID-19 évolue, nous avons déterminé qu’il y a une large coïncidence entre les causes de décès de malades du COVID-19 et les maladies causées par une longue exposition aux particules fines. » Le rapport note également que « le 26 mars 2020, l’Agence de Protection de l’Environnement des Etats-Unis a annoncé un assouplissement considérable des règles environnementales en réaction à la pandémie de coronavirus, permettant aux centrales électriques, aux usines et autres sites industriels de déterminer eux-mêmes s’ils sont capables de satisfaire aux exigences légales de signaler la pollution de l’air et de l’eau. »

Selon le site web de la Compagnie du Gaz et du Pétrole de la Nation Navajo (NNOGC), « en 1923, un gouvernement tribal Navajo a été établi en premier lieu pour que le Bureau des Affaires Indiennes approuve des contrats avec des compagnies pétrolières américaines, avides [sic] de commencer des opérations de forage pétrolier sur les terres Navajo. »

Sans doute, presque toutes les décisions économiques prises par le gouvernement tribal depuis (à quelques exceptions près) ont facilité l’exploitation de Notre Mère la Terre pour le profit.

Pour chaque attaque contre Notre Mère la Terre menée par des entités coloniales, les Diné se sont farouchement organisés pour protéger Nahasdzáán dóó Yádilhil Bits’áádéé Bee Nahaz’áanii ou la Loi Naturelle Diné.
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Actuellement, il y a plus de 20 000 puits de gaz naturel, et des milliers d’autres en projet, dans et près de la Nation Navajo, dans le Bassin de la rivière San Juan, une structure géologique d’environ 20 000 km², dans la région des Quatre Coins [Four Corners]. L’Agence pour la Protection de l’Environnement des ‘Etats-Unis’ a trouvé que le Bassin de la San Juan était « le bassin de méthane de houillère le plus productif d’Amérique du Nord. » Rien qu’en 2007, les entreprises ont extrait près de 4000 milliards de m³ de gaz naturel de la région, en faisant la plus grande source aux Etats-Unis. Halliburton, qui fut ‘pionnier’ de la fracturation hydraulique en 1947, a entrepris la ‘refracturation’ de puits dans la région. La fracturation gaspille et pollue une incroyable quantité d’eau. Un seul puits de méthane de houillère peut utiliser jusqu’à 1,6 millions de litres d’eau, et un seul puits de gaz de schistes jusqu’à 45 millions de litres. Comme je l’ai déjà mentionné, c’est une région dans laquelle environ 30% des familles n’ont pas accès à l’eau courante. Le Bassin de la San Juan est aussi considéré comme « le plus prolifique producteur d’uranium des Etats-Unis. » L’uranium est un métal lourd radioactif, utilisé dans les réacteurs nucléaires et la production d’armes. On estime que 25% de tout l’uranium encore exploitable du pays se trouve dans Diné Bikéyah. Pendant la soi-disant ‘Guerre Froide’, les terres Diné ont été extrêmement exploitées par l’industrie nucléaire. De 1944 à 1986, environ 30 millions de tonnes de minerai d’uranium ont été extraits des mines. Les travailleurs Diné ont été peu informés des risques pour leur santé, beaucoup n’ayant même pas été équipés de protections. Quand la demande d’uranium a décru, les mines ont fermé, laissant plus de 1000 sites contaminés. À ce jour, aucun n’a été complètement nettoyé.
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Les Déserts Alimentaires : Un Projet de Violence Coloniale

Notre santé a été détruite par des maladies liées à la malnutrition, imposées par les attaques coloniales contre notre système culturel d’alimentation. Diné Bikéyah n’était pas un ‘désert alimentaire’ avant la colonisation. Selon l’Association Américaine du Diabète, « Les diabétiques ont une plus grande chance d’avoir de graves complications avec le COVID-19. En général, les diabétiques ont plus de chances d’avoir des symptômes graves et des complications quand ils sont contaminés par un virus. » Un Diné sur trois est diabétique ou prédiabétique, dans certaines régions, les soignants signalent avoir diagnostiqué du diabète chez tous les malades.

En 2014, l’organisatrice Diné Dana Eldrige, a publié un rapport accablant sur la Souveraineté Alimentaire Diné, par l’intermédiaire de l’Institut pour les Politiques Diné. Dans le rapport, le concept de Nation Navajo comme ‘désert alimentaire’ était replacé dans le contexte d’un processus de colonialisme et de capitalisme.

Le rapport définissait un Désert Alimentaire comme « une zone, urbaine ou rurale, sans accès à une nourriture fraiche et saine à un prix abordable. Alors que les déserts alimentaires sont privés de nourriture saine abordable, les aliments transformés, mauvais pour la santé, y sont plus facilement accessibles… [Les Déserts Alimentaires] impliquent un fort taux de maladies dues à la malnutrition.
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Nos terres ne sont pas devenues un ‘désert alimentaire’ par accident ou par manque d’infrastructures économiques, l’histoire du manque de nourriture dans nos communautés est directement corrélée à une histoire d’invasion coloniale violente.
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Voir l’histoire de cette colonisation violente dans le texte intégral.