13 juin 2020: 6554 cas, 308 décès

Par Christine, du CSIA-Nitassinan
Publié le 1er juin 2020

La Nation Navajo est la région la plus touchée des Etats-Unis par le coronavirus. Beaucoup de choses essentielles – équipements médicaux, nourriture, eau courante, transports – manquent. Les Autochtones – Navajos et 12 autres Nations – constituent 5% de la population de l’Arizona, mais 20% des décès dus au coronavirus.
Le 21 mai 2020, Viviann Anguiano écrivait, sur le site « Center for American Progress » : « La Nation Navajo a maintenant le taux de contamination par habitant le plus élevé des Etats-Unis – ce qui est d’autant plus désastreux que son peuple a été longtemps exclu de ressources capitales, comme l’eau courante et un service de santé adéquat. En Arizona, les Autochtones représentent 20% des décès dus au COVID-19, bien qu’ils ne constituent que 5% de la population de l’état. En fait, la situation est si alarmante que Médecins Sans Frontières, un groupe qui travaille habituellement dans des zones de conflit où frappées par des catastrophes naturelles, a envoyé au moins deux équipes de médecins dans la Nation Navajo, pour aider à combattre la maladie » Et plus loin, elle ajoute « En bref, la pandémie a révélé l’héritage de l’histoire américaine de mauvais traitements – et de négligence actuellement – de la Nation Navajo et d’autres communautés tribales. »
Récemment, de nombreux analystes ont dénoncé le manque d’eau courante comme cause principale de la propagation du virus dans la réserve Navajo. Beaucoup de résidents de la réserve n’ont pas l’eau courante à proximité – d’après un article de Global Citizen, du 22 mai, « de 15 à 40% des familles n’ont pas accès à de l’eau courante saine. Les Navajos doivent souvent aller jusqu’à des éoliennes, des stations d’essence ou autres pour remplir d’eau de grands jerricans de plastique ». Il leur est donc impossible de se laver les mains fréquemment ou de désinfecter les objets qu’ils touchent.Les causes du manque d’eau sont largement attribuables aux politiques extractivistes menées dans la région depuis les années 1940. D’abord, ce furent les mines d’uranium. Depuis, 22 puits d’eau qui avait été potable, ont été fermés à cause du taux de radioactivité qui s’y trouve. Puis, ce furent les mines de charbon et les centrales au charbon, qui consommaient énormément d’eau pour fonctionner. Et toujours, l’eau des rivières et des nappes aquifères des territoires autochtones qui est détournée pour fournir de l’électricité aux grandes métropoles.
La Nation Navajo manque aussi cruellement d’équipements et de centres de santé. Le 26 mars 2020, Censored News publiait un article écrit pas Sara Jager, médecin de la réserve :
« Je suis médecin dans la réserve Navajo, à Tuba City, en Arizona. Nous sommes durement touchés par le COVID. Nous n’avons pas assez de blouses, de masques pour protéger tous les membres de la réception, des urgences ou des unités de patients. Voici ce dont nous avons besoin :
1. Des masques faits à domicile – ils seront donnés aux patients qui toussent afin de contenir la propagation du virus au domicile ainsi que pour entrer aux Urgences ou pour d’autres visites. Nous pouvons aussi les utiliser pour couvrir les masques N95 pour les protéger de la contamination.
2. Des blouses faites à domicile pour le personnel de l’hôpital. Nous pouvons les envoyer par les services de blanchisserie de l’hôpital. Cela aidera à protéger les soignants et employés du virus. Elles doivent avoir des manches longues et tomber jusqu’au genou. Être lavables, si possible en coton.
3. Des visières protégeant le visage – des gens en fabriquent aussi. Ça protège les yeux de la toux et des postillons. Elles seront portées par les soignants qui voient des patients.
Normalement, ce sont des équipements à usage unique, mais nous les réutilisons tous, en ce moment. »
Il y a trop peu de centres de santé dans la réserve, ils sont difficilement accessibles pour les familles isolées et manquent cruellement d’équipements.

Mais en plus, la santé de la population a été fragilisée depuis plus d’un siècle par la colonisation. Les Autochtones ont été privés de leurs moyens d’existence traditionnels. La réduction de leurs territoires les a privés de terres cultivables et de sources d’eau. Chez les Navajos, beaucoup de bétail, surtout constitué de moutons, a été abattu sous prétexte de ‘surpâturage’. Leurs sources d’alimentation traditionnelles ont été remplacées par quelques supermarchés (en nombre insuffisant dans la réserve Navajo), ce qui a introduit la mal bouffe, aggravée par la pauvreté qui force les gens à acheter des produits de mauvaise qualité. Le taux de diabète et d’obésité, très élevé chez les Autochtones, accroit les risques en cas de contamination.
L’extractivisme a également affaibli la population.
Dès 1940, de l’uranium a été trouvé dans la réserve Navajo, près de Monument Valley. Des mines ont été creusées sans aucun respect des normes de sécurité. De nombreux mineurs Navajo et des membres de leurs familles sont décédés de cancer. A l’heure actuelle, il y a encore plus de 1000 mines d’uranium abandonnées dans et autour de la réserve Navajo. Beaucoup n’ont pas été décontaminées. Elles causent toujours des cancers, mais aussi des maladies pulmonaires.
Puis, le charbon a été découvert.
La multinationale Peabody Coal – première firme charbonnière du monde – a causé, au début des années 1970, un pseudo-conflit Navajo-Hopi, afin de chasser les Navajos de Black Mesa, une zone qu’ils ont fait exploser pour exploiter le charbon à ciel ouvert (ceux qui ont vu le film de Klee Benally « Power Lines » s’en souviennent peut-être). Trois centrales au charbon parmi les plus polluantes du monde ont été créées sur le territoire de la Nation Navajo [la Réserve]. Bien entendu, la population qui vivait à proximité de ces centrales et en est très affectée, n’a pas l’électricité. Certaines de ces centrales doivent fermer (Peabody Coal a fait faillite deux fois, ce qui ne l’empêche pas d’exister, mais la délie de sa responsabilité pour les dégâts causés), cependant les gens ont déjà les voies respiratoires affectées et fragilisées.

Le virus est apparu dans la réserve fin mars 2020. Dans un article du 27 mars, publié sur Censored News, Brenda Norrell écrivait, citant le Navajo Times : « la propagation initiale, à Chilchinbito, près de Kayenta, en Arizona, dans la Nation Navajo, faisait suite à un rassemblement de l’Eglise du Nazaréen [un groupe évangéliste] ». « Un autre rassemblement d’une église, à Pine Hill, Nouveau-Mexique, près de Gallup, a continué à propager le virus parmi les Diné. La famille du pasteur a été hospitalisée. » (A Mulhouse, les premiers cas ont été décelés parmi des gens qui avaient assisté à un rassemblement évangéliste ! D’après un article de la BBC du 2 mars, une secte aurait également eu – et caché – des cas, en Corée du Sud. Le dirigeant de la secte est poursuivi).
Cependant, les autorités coloniales continuent de manquer à leurs obligations minimales vis-à-vis des Autochtones. Dans un article du 18 mai 2020, Brenda Norrell écrit, sur Censored News, que des tests rapides fournis par Trump aux dirigeants Navajo lors d’une table ronde du 5 mai, à Phoenix, se sont révélés totalement inefficaces, avec près de 50% d’erreurs, indiquant comme négatifs des gens qui ont développé la maladie quelques temps après. Ces tests sont fabriqués par la firme privée Abbott. Ces tests ont également été distribués à d’autres Nations Autochtones un peu partout aux Etats-Unis. Ils ont comparé le scandale à la distribution de couvertures infectées par la variole au XIXème siècle. Dans un article du 23 mai, Censored News révélait un autre scandale : La Nation Navajo avait reçu des masques médicaux inadéquats. Il s’agissait d’une arnaque. Un ancien employé de la Maison Blanche avait obtenu un contrat avec le Service de Santé Indien (IHS), et acheté des masques en Chine, des KN95, supposés être l’équivalent chinois des N95. Il avait cependant été annoncé par une agence officielle que ces masques ne protégeaient pas suffisamment. Brenda Norrell citait le site ProPublica : « Un ancien employé de la Maison Blanche a obtenu un contrat de 3 millions de dollars pour fournir des masques aux hôpitaux de la Nation Navajo au Nouveau-Mexique et en Arizona, 11 jours après avoir créé une compagnie pour vendre des équipements de protection personnelle face à la pandémie de coronavirus. »
Pendant ce temps, le nombre de cas et de décès continue à augmenter, et beaucoup de gens manquent d’eau et souffrent de la faim. Le gouvernement Navajo a organisé des distributions dès le début, mais c’est très insuffisant. Et les lourdeurs bureaucratiques inhérentes à tout gouvernement retardent l’utilisation des fonds fédéraux, qui, aux dernières nouvelles, étaient encore sur un compte bancaire.

Dès le début aussi, des bénévoles se sont organisés, ont fondé des associations de base et commencé à collecter des fonds par Internet, et des produits de base localement. Klee Benally, bien connu du CSIA, est actif dans les trois associations principales de la région de Flagstaff : Kinłani [Flagstaff] Mutual Aid, Indigenous Mutual Aid (liée à Indigenous Action) et Navajo & Hopi Families COVID-19 Relief. Táala Hooghan Infoshop sert d’entrepôt et de point de départ pour beaucoup des produits apportés directement ou achetés grâce aux dons locaux et internationaux. Il faut noter que l’Irlande arrive largement en tête des dons internationaux.
Les bénévoles font un travail admirable. Ils apportent de l’aide dans les coins reculés et isolés de la réserve, sur des pistes non goudronnées, difficilement praticables quand il pleut. Ils aident aussi les SDF – pour la plupart Autochtones – des villes proches de la réserve. Au début de l’épidémie, c’était encore l’hiver à Flagstaff, qui se trouve à 2000 mètres d’altitude. Il gelait et neigeait encore. Le foyer supposé abriter les SDF était devenu dangereux à cause de la promiscuité, dès que le virus s’est propagé dans la région. Et en même temps, et toujours depuis, ils s’efforcent de porter des secours là où il y a des besoins urgents dans les réserves. Récemment, selon un article publié le 27 mai sur Censored News, Kinłani Mutual Aid, accompagné par Klee Benally qui a pris les photos, a livré de l’aide sur Black Mesa, une zone de la réserve où les habitants sont particulièrement isolés.
Le gouvernement Navajo a fort justement instauré le confinement, et, pendant les weekends, le couvre-feu et la fermeture de la réserve. Cependant, les bénévoles ont regretté qu’aucune exception ne soit faite pour eux, lorsqu’ils devaient apporter de l’aide urgente dans la réserve au cours du weekend.

L’aide a pris différentes formes. Pour tenter de pallier au manque de masques, des couturières Autochtones ont formé une association pour en produire. Le 15 mai 2020, Cassandra Begay, de Navajo and Hopi Families COVID-19 Relief Fund, a publié sur Censored News un article sur ces couturières particulièrement dévouées et solidaires : « … les branches de Navajo and Hopi Families COVID-19 Relief Fund, entièrement bénévoles, ‘Western Navajo Seamstresses COVID-19 Dooda’ et ‘Eastern Navajo Seamstresses United COVID-19 Dooda’ cousent rapidement des masques et d’autres équipements pour les membres de la communauté, les bénévoles de première ligne, et les soignants.
« La semaine prochaine, le Fonds ajoutera des masques à ses colis de nourriture. […] »
« Le 23 mars, Theresa Hatathlie-Delmar, de Coalmine Mesa, dans la Nation Navajo, a été contactée par la fondatrice du Fonds, Ethel Branch, qui lui a demandé de l’aide pour mobiliser un groupe pour coudre des masques lavables afin d’aider les efforts de soutien. » […]
Fondé d’abord comme groupe de Couturières Navajo Unies COVID-19 Dooda, le groupe s’est tellement développé qu’il y a maintenant des Chapitres Ouest et Est. Le Chapitre Ouest, dirigé par Theresa Hatathlie-Delmar, compte plus de 500 membres des Nations Navajo et Hopi, du Sud de l’Arizona, du Nouveau-Mexique, du Sud de l’Utah, du Colorado, de New York et de Géorgie, ainsi que des frères et sœurs des Nations Blackfeet, Lakota, Dakota et Nakota. »
Merci à Brenda Norrell, qui assure les reportages, et qui a fait un appel sur Censored News, se chargeant de mettre en relation les gens manquant de produits de base et ceux qui pouvaient leur apporter ce dont ils avaient besoin.

Malgré l’extraordinaire dévouement des bénévoles et la générosité des donateurs, les besoins restent immenses et la pandémie continue à s’étendre. Ci-dessous, des informations sur les principales associations de bénévoles de la région :

Kinłani (Flagstaff) Mutual Aid : “Une réponse communautaire à la menace du COVID-19.
https://kinlanimutualaid.org/

Indigenous Mutual Aid, fondé par Indigenous Action Media. Travaille avec les deux autres assos. Est plus ‘radicale’ et politisée.
https://www.indigenousmutualaid.org

Navajo & Hopi Families COVID-19 Relief
https://www.navajohopisolidarity.org/

Par Censored News, Klee Benally
Censored News
23 avril 2020
Traduction Christine Prat

FLAGSTAFF, Arizona – L’équipe de bénévoles de Kinłani/Flagstaff soutient l’Aide aux Familles Navajo et Hopi. Au cours du mois d’avril, des provisions et équipements destinés aux résidents des Nations Navajo et Hopi sont arrivés à Flagstaff (Kinłani) pour leur être livrés. L’acteur Jason Momoa [originaire de Hawaï] a fait don d’un plein camion d’eau, et le Dr. Bronners a envoyé des savonnettes et des désinfectants pour les mains. Parmi les dons, il y a des produits frais, des masques et des produits sanitaires. Can’d Aid a donné de l’eau qui a été livrée à Tuba City.

Photos fournies par Klee Benally, Diné, Flagstaff, Arizona.

Klee Benally : « C’est ce que nous appelons la Solidarité, pas la Charité. Nos parents SDF préparent des kits pour chacun d’entre eux, organisent la distribution de vêtements, et préparent des actions pour leur mieux-être. Nous progressons, grâce à l’aide de vos dons à tous (même le Dr. Bronners pour l’Aide aux Familles Navajo et Hopi) ! » Allez voir sur www.kinlanimutualaid.org ou faites des dons par PayPal : indigenousaction@gmail.com .

Klee Benally, mercredi « Nous avons déchargé 950 litres de désinfectant pour les mains pour l’Aide Navajo Hopi COVID 19, aujourd’hui. Maintenant il faut trouver des vaporisateurs de 24 et 48 centilitres à remplir et distribuer ! »

Klee : « Ce système nous a fait défaut bien avant le COVID-19. Nous ne pouvons pas envisager de soutenir nos peuples à travers cette crise sans nous organiser pour détruire ce système. Tandis que les efforts d’aide mutuelle se répandent radicalement pour redistribuer les ressources, nous devons aussi redistribuer le pouvoir. Nous devons comprendre comment le capitalisme et le colonialisme se fondent sur les privations matérielles de nos communautés. Nous devons aussi comprendre comment le colonialisme d’exploitation a frappé nos corps et compromis nos systèmes immunitaires.

« Si nous voulons vraiment honorer Notre Mère la Terre, ça implique d’attaquer le capitalisme, la suprématie blanche, l’hétéro-patriarcat et le colonialisme à la racine. Si ces idéologies de base ne sont pas liquidées, nous nous condamnons, nous et les générations futures, à la non-existence. Le capitalisme n’est pas durable, c’est un virus. Le colonialisme, c’est la peste. »

Un chargement de fruits et d’équipements pour se laver les mains, destiné à Chilchinbito. Jessica, de l’Aide Navajo Hopi, a transporté de l’eau en cannettes à Leupp, avec le soutien bénévole de Kinłani Mutual Aid. Le savon et le désinfectant du Dr. Bronner est prêt pour être distribué à Leupp. Ahe’hee (merci) à tous les bénévoles de Kinłani Mutual Aid pour l’avoir gardé et soutenu les actions d’aide et à tous ceux qui ont fait des dons ! Taala Hooghan Infoshop – Klee Benally

L’acteur Jason Momoa [de Hawaï] dit « STOCKÉ ET FIER DE LIVRER de l’Eau Mananalu. Nous avons envoyé un camion plein (20 000 cannettes) d’eau Mananalu à la Nation Navajo. Mon entreprise d’eau est encore petite, mais je fais ce que je peux pour aider ceux qui en ont le plus besoin. MAHALO NUI @theelleshow pour nous avoir aidé à propager l’aloha. Merci à la campagne Aide aux Familles Navajo et Hopi COVID-19 ((@navajohopicovid19relief) pour nous avoir aidé à distribuer l’eau aux familles. C’est un effort de la base, conduit par un groupe de femmes Navajo qui travaillent 14 heures par jour, sans être payées, afin de collecter des fonds et soutenir les familles Navajo dans le besoin pendant cette terrible pandémie. C’est merveilleux. Les tribus Autochtones sont parmi les communautés qui courent le plus haut risque, au cours de cette pandémie du coronavirus, et beaucoup d’entre elles n’ont pas les moyens nécessaires pour combattre le virus. C’est-à-dire, l’équipement médical, la nourriture de base et l’eau potable. Environ 40% des habitants vivent dans des zones rurales et ont peu ou pas d’accès à l’eau courante. Ils vivent, littéralement, dans un ‘désert alimentaire’ avec très peu d’épiceries et un territoire très étendu. Beaucoup de familles doivent faire plusieurs kilomètres rien que pour aller chercher de l’eau. »

Táala Hooghan : équipe de bénévoles de Kinłani/Flagstaff Mutual Aid, qui aident l’Aide aux Familles Navajo et Hopi, déchargent de l’eau en cannettes.

RAPPORT SUR LA CONVERGENCE ANARCHISTE AUTOCHTONE QUI A EU LIEU A BIG MOUNTAIN-FLAGSTAFF 14-18 AOÛT 2019

Publié sur le site Taala Hooghan
Et Indigenous Action Media
Le 6 septembre 2019
Traduction Christine Prat

“Pour ce que ça vaut, nous aurons établi une façon de vivre à la fois Autochtone, c’est-à-dire du territoire où nous nous trouvons réellement, et Anarchiste, c’est-à-dire sans contrainte autoritaire.” – Aragorn!

“Mes ancêtres voulaient l’autonomie, et c’est ce que je veux aussi.” – Jaydene, The Tower

“Nous vivons ici depuis bien avant le gouvernement des Etats-Unis, et nous continuerons à vivre ici longtemps après qu’il ait cessé d’exister” – résistant Diné au déplacement [de population].

Voir aussi l’interview d’Andrew Pedro, Akimel O’odham, avec vidéo sous-titrée en français et texte intégral de l’interview, également en français, sur le même sujet.

Kinłani/Flagstaff, Arizona – Plus de 120 participants et plus de 30 groupes et organisations ont convergé à l’Infoshop Táala Hooghan pour discuter, débattre et échanger leurs perspectives sur l’Anarchisme Autochtone.

L’appel initial à la convergence déclarait “… nous appelons tous ceux qui cherchent une vie épanouissante, libre de la domination, de la coercition et de l’exploitation, à se rassembler autour de ce feu. Pour ceux que répugnent les fascinations pour des pensées d’hommes Blancs morts (et leurs académies et leurs lois), et les “activismes décolonisateurs” réformistes et réactionnaires,” et les politiques dépourvues d’imagination du cirque gauchiste dans son ensemble. Pour toutes ces forces ingouvernables de la Nature…”

Bien que des réactions gauchistes soient souvent reproduites et que beaucoup de temps ait été passé en des présentations longuement répétées à l’avance, les buts initiaux de se rassembler et d’interroger les propositions de l’Anarchisme Autochtone ont été atteints. Nous avons pu aussi coordonner ce rassemblement avec un budget de moins de 800 dollars (merci à tous ceux qui ont donné en ligne !) en nous appuyant sur l’aide de beaucoup de nos parents à Kinłani, qui ont fait la cuisine, donné de la nourriture, ouvert leurs maisons et se sont proposés comme bénévoles. En cela, la convergence pourrait être comptée comme un succès, mais ce que nous déclarons dans ce rapport ne doit pas être considéré comme une célébration. Ça ne représente absolument pas tout ce dont il a été discuté, mis au défi, débattu ou exprimé. Peut-être que cette proposition incomplète écrite de mémoire, d’après des enregistrements limités et des notes éparses, doit plutôt être vue comme des fragments de pierres sur lesquels nous pouvons nous aiguiser.

Lorsque nous avons publié l’invitation à cette Convergence Anarchiste Autochtone (IAC), nous pensions à un dialogue régional dont la forme viendrait principalement de ceux qui sont déjà familiers des idées sur lesquelles nous avons travaillé, nous n’avions pas prévu l’extraordinaire réaction de gens venus de tous les soi-disant Etats-Unis. Nous avions aussi invité plus particulièrement ces quelques voix que nous avions lues ou avec lesquelles nous avions beaucoup parlé de l’Anarchisme Autochtone (certains n’ont pas pu venir), et en cela, nous savions que nous invitions des gens controversés et qu’il y avait une sérieuse possibilité de réticences. L’agenda a été planifié d’un bloc et bourré de discussions et d’ateliers. Bien qu’un temps considérable ait été prévu pour chaque session (plus de deux heures pour certaines), nous en avons dévié, avons attendu et avons dépassé les temps comme c’est inévitable pour ce genre de choses.

Un rassemblement préliminaire a eu lieu à Big Mountain à l’invitation de Louise Benally et de sa famille, qui résistent au déplacement forcé en restant sur leurs terres ancestrales. Cette région a été déclarée Nation Diné Souveraine par les résidents qui affirment leur autonomie, hors du contrôle des gouvernements US et Tribal. Bien que seulement quelques participants de la convergence aient été présents, les contacts et les discussions (essentiellement en Diné bizaad), ont abordé les luttes territoriales, le changement climatique, l’extraction de charbon, la médecine traditionnelle et l’autonomie.

Le rassemblement a aussi été une célébration de la fermeture de la Centrale Navajo [Navajo Generating Station], une centrale au charbon de la région, qui avait rempli son dernier train de charbon la veille. Les matriarches Diné Rena Babbit Lane et Ruth Baikedy nous ont rejoint le jour suivant, lorsque John Benally a montré aux gens comment chercher les herbes utiles, puis a parlé de la géopolitique du soi-disant conflit territorial Navajo-Hopi. Globalement, le rassemblement préliminaire, tenu près d’un hogan traditionnel sans eau ni électricité, a démontré la force et la détermination des modes de vie traditionnels qui sont l’ossature de la résistance autonome à Big Mountain.

Le vendredi soir, à l’Infoshop Táala Hooghan, la convergence a débuté par une prière, par l’homme-médecine traditionnel Jones Benally, ce qui a connecté le rassemblement aux montagnes sacrées au milieu desquelles nous accueillions tout le monde.

Une déclaration a été faite, prévenant que “ce rassemblement allait être brouillon, que des erreurs seraient commises, et que pourtant nous étions enthousiastes à l’idée des possibilités qui pourraient en sortir. Bien que cette convergence soit prématurée et que nous n’avions pas toute la capacité requise pour l’accueillir, nous ne voulions pas attendre pour le faire, nous voulions pousser les conversations en avant, afin de pouvoir intervenir de façons plus directes et plus efficaces dans les présentes réalités politiques de merde que nous devons affronter. Nous ne voulons pas non plus que vous participiez en vous attendant à ce que cette convergence devienne annuelle, ce qui présenterait le danger que l’Anarchisme Autochtone soit défini par notre contexte et par nos termes, et nous savons que ce rassemblement serait très différent s’il devait avoir lieu dans vos territoires, et que vous feriez certaines choses très différemment de nous. Nous voudrions proposer que la prochaine conférence ait lieu ailleurs, alors pensez-y pendant que vous êtes ici.” Il a aussi été déclaré que l’Infoshop ne pouvait pas garantir être un lieu sûr, mais devait être vue comme un espace menaçant pour toutes formes de comportements oppressifs, et que des agresseurs connus, en particulier les auteurs de violences sexuelles ou fondées sur le genre, seraient expulsés du rassemblement.

Sur le Front Autochtone, il a été question de plusieurs causes de tensions.

Des discussions sur “le bon et le mauvais traditionalisme”, entre autres le défi de “ne pas romantiser l’utopie d’avant le contact”, particulièrement en ce qui concerne les problèmes de genre, ont dominé tout le weekend.

Membre du panel “Localiser un Anarchisme Autochtone”, Chris Finley dit “je veux être certain que les Autochtones queer, les gens qui ont deux esprits, sont des gens sacrés. Être queer n’est pas un résultat de la colonisation, c’est une idée de con. Je veux être sûr que nous sommes des membres sacrés de notre communauté. Une des choses que nous pouvons faire, pendant que les colons se débrouillent avec leur merde, c’est de travailler sur l’homophobie dans nos communautés, parce que c’est un aspect extrêmement important de comment l’Etat colonial maintient son pouvoir, et ce sont des choses sur lesquelles nous pouvons agir maintenant.”

Brandon Benallie, de l’Infoshop Ké’, dit “le Traditionalisme n’est pas la même chose que nos modes de vie. Le Traditionalisme est comme une pièce de musée posée sur une étagère et qui vieillit, alors que nos modes de vie accumulent les connaissances et grandissent indéfiniment, ce sont les gens qui vieillissent qui ne veulent pas grandir.”

Une autre question débattue était “comment faisons-nous avec les Anciens ou réagissons-nous vis-à-vis des Anciens qui nous disent de rentrer au campement ?” Cela s’adressait essentiellement aux expériences de Standing Rock, où des Anciens ont retenu des gens à distance des lignes de front. Des anecdotes ont été racontées, qui ne nous fournissaient pas de tactique claire, à part reconnaître qu’il y a “des Anciens qui vieillissent”, et que c’est un défi pour nous de comprendre comment réagir à cette dynamique fondée sur les situations dans nos communautés. Julie Richards, aka MAMA Julz, une protectrice de l’eau de Mothers Against Meth Alliance, dit : “Je veux faire partie de ces Anciens qui s’enchaînent encore sur les lignes de front pour sauver nos territoires et les générations futures.”

Les politiques concernant l’identité ont aussi dominé, entre autres la mention d’un manque d’attention aux problèmes des transsexuels et des Afro-Autochtones. Les questions sur la politique d’identité ont porté spécialement sur les Autochtones supposés ‘passer pour Blanc’ [pour cause de métissage de leurs ancêtres – NdT]. Cela a provoqué des questions sur les tentatives coloniales de “génocide de papiers.” Une personne Afro-Autochtone transsexuelle a dit que leur lutte les mène à “être haïs par la société et les gens pour qui ils se battent.” Il y eut de nombreux appels pour que les espaces d’organisations se concentrent sur les voix de transsexuels et d’Afro-Autochtones. Il y eut aussi des appels à combattre l’hostilité à ce qui est Noir dans l’organisation des Autochtones (comme la cooptation de Black Lives Matter par Native Lives Matter) et à inclure plus largement dans le mouvement Femmes Autochtones Disparues ou Assassinées [Missing and Murdered Indigenous Women – #mmiw] les transsexuels et les parents avec deux esprits, confrontés à la violence hétéro-patriarcale, en ajoutant #mmiwgts.

Les territoires et les lieux étaient au centre de toutes les conversations, bien qu’il fût fait remarquer que “si Autochtone veut dire appartenant à la terre, qui n’est pas anarchiste Autochtone ?” et que le terme “Île de la Tortue” était trop limité et trop exclusif. Ces tensions ont conduit certains participants Diné et d’autres Autochtones à clarifier la notion que leur anarchisme est une tendance spécifique à cause de leurs différents contextes culturels.

Le terme “décolonisation” parut avoir plus de poids au cours de ces discussions, vu qu’il était utilisé avec parcimonie. Cela bien qu’en un sens, la dynamique de “décolonisation” ait joué autant que dans d’autres cercles. Le terme “décolonisation” est utilisé aussi bien dans des contextes radicaux que libéraux, comme terme rhétorique vide, et on le trouve souvent dans des expressions de “reconnaissances de territoire”, alors qu’il devrait être utilisé de manière significative avec et concernant les territoires de Peuples Autochtones sur lesquels on se trouve. Cette dynamique est particulièrement claire de la part de ceux qui sont venus à la convergence de grandes villes. Par certains aspects, leurs contextes semblaient distants et aliénants, une dynamique par laquelle nous nous arc-boutons quand nous sommes confrontés à des universitaires, donc s’était préoccupant bien que pas surprenant, en ce qui concerne le lieu et les façons dont nos protocoles culturels furent ignorés et, en quelque sorte, traités sans respect.

Jaydene, de l’Infoshop anarchiste “The Tower”, au soi-disant Canada, a parlé des efforts “de réconciliation” fait par l’Etat pour aborder le génocide des Peuples Autochtones, “… le colonialisme des colons n’existe pas au passé. Sa violence est omniprésente et constante, en ce moment même, ce soir, où que nous tournions notre regard. La réconciliation c’est l’effacement de cette violence coloniale. La réconciliation – en tant que terme – c’est la résolution d’un conflit, le retour à des relations amicales… La décolonisation – par contre – concerne l’abrogation de l’autorité de l’état colonial et la redistribution des terres et des ressources. Ça implique aussi d’adopter et de légitimer les visions du monde Autochtones précédemment réprimées. Décolonisation n’est pas un mot à prendre à la légère. Nous devons réfléchir à ce qu’est la colonisation pour le comprendre : la domination administrative et économique totale sur un peuple et un territoire. Décolonisation ne signifie pas seulement anticapitaliste, ça signifie anti-état. Je suis intimement persuadé qu’il ne peut pas y avoir de réconciliation qui reconnaisse l’autodétermination des peuples Autochtones tant que l’état du Canada existe.”

Sur le front anarchiste il y semblait y avoir étonnamment moins de désaccord. L’emphase a porté sur un anarchisme Autochtone comme unique tendance radicale anticoloniale s’opposant au biais européen du terme. Des observations ont été échangées sur la manière dont les concepts d’aide mutuelle, de relations sociales non-hiérarchiques, et d’action directe étaient déjà contenus dans beaucoup, mais pas tous, nos différents systèmes de connaissance Autochtones, et sur comment les stratégies révolutionnaires à base étatique, comme le socialisme et le communisme, étaient intrinsèquement anti-Autochtone. Bien qu’il n’y ait pas eu d’accord complet, une tendance exprimée était que l’anarchisme est un outil ou une position que nous pouvons utiliser pour nous distinguer des politiques coloniales gauchistes et libérales (principalement les réformismes et le Marxisme et ses “satellites”). Nous avons perdu peu de temps à parler de l’identité anarchiste Blanche, ce qui est peut-être la principale raison pour laquelle les positions de Anarchist People of Color (APOC – Anarchistes de Couleur), d’accueillir les Autochtones, les Noirs et les Basanés a été invoquée.

Chris Finley a parlé de leur histoire, d’être venus à l’anarchisme par le milieu punk-rock et d’être arrivés à un anarchisme Autochtone féministe, “…je suis revenu à l’anarchie parce que je ne voulais pas seulement savoir contre quoi je suis, je savais bien que c’était de la merde, mais savoir ce pour quoi je voulais être et avec qui je voulais être pour cela. C’est une question difficile, je suis colonisé, c’est très dur pour nous de penser à quelque chose à part cela, donc nous avons besoin d’autres gens pour nous aider à en sortir et imaginer ces questions ensemble.”

Jaydene dit : “L’Anarchisme est une philosophie politique – certains diraient que c’est une belle idée – qui croient en des sociétés qui s’auto gouvernent, sur la base d’une association volontaire les uns avec les autres. Elle défend l’idée de prise de décision non-hiérarchique, la participation directe dans les décisions par les communautés touchées, et l’autonomie pour tous ceux qui vivent. De plus, elle accorde de la place à la valeur d’entités non-humaines par-delà leur valeur monétaire ou leur utilité aux humains. Les enseignements Autochtones que j’ai reçus m’ont communiqué l’idée que nos communautés sont importantes, mais que nous le sommes aussi en tant qu’individus. Les traditions considéraient la prise de décision comme un processus participatif, fondé sur le consensus, dans lequel les communautés choisissaient ensemble. Les enseignements que j’ai reçus me disent que la terre peut nous offrir ce dont nous avons besoin, mais de ne jamais prendre plus que cela. Je trouve ces idées fondamentalement compatibles. J’aimerais voir une anarchie de mon peuple et une anarchie des colons (qui sont aussi mon peuple) mises en pratique ici, ensemble, côte à côte. Avec une distribution égalitaire du pouvoir, chacun entretenant des relations saines, agissant selon leurs propres idées et leur propre histoire. Exactement ce qu’imaginait le [Wampun] à Deux Rangs. J’aimerais que l’état centralisé du Canada soit démantelé. J’aimerais que les communautés prennent la responsabilité de s’organiser en l’absence de ladite autorité centrale. Mes ancêtres voulaient l’autonomie, et je la veux aussi.”

Louise Benally parla de son expérience de la résistance à la déportation forcée à Big Mountain et appela à continuer d’agir pour renverser tous ces systèmes qui détruisent Notre Mère la Terre. Louise déclara que l’anarchisme “veut dire action, que vous croyez en vous-même, que vous croyez en ce de quoi vous allez parler, que vous croyez en ce que vous faites, que vous n’êtes pas lié par un groupe ou une entité gouvernementale, que vous faites ce que vous devez faire. Je crois en la terre et aux esprits qui travaillent à l’intérieur de la terre, c’est ce vers quoi je vais en premier. Travailler avec et par la nature, c’est la seule chose en laquelle je crois, je ne fais confiance à aucun système parce qu’aucun n’a jamais fait quoique ce soit pour moi. Je ne pratique pas le Christianisme, ce n’est pas quelque chose que je comprends, je ne fonde pas ma manière d’agir dessus, je ne crois pas au gouvernement des Etats-Unis, parce qu’il n’apporte que la destruction d’une culture et la consommation de la culture.”

Le panel sur “Localiser un Anarchisme Autochtone” a pris ce nom d’une brochure appelée Aragorn!’s zine, publiée en 2005, dont nous avons lu un passage et fourni une définition de l’anarchisme Autochtone : “Pour ce que ça vaut, nous avons établi un mode de vie qui est à la fois autochtone, c’est-à-dire issu du territoire sur lequel nous sommes, et anarchiste, c’est-à-dire sans contrainte autoritaire.” Aragorn! déclarait : “D’abord, j’ai un gros problème avec l’anarchisme parcellaire, quand les gens se définissent comme anarchistes Blancs, en fait ils veulent dire d’abord Blanc et l’anarchisme est une préoccupation secondaire. J’ai toujours vu l’anarchisme et le fait d’être Autochtone comme des synonymes. Pour moi, l’idée d’un anarchisme qui serait situé ici exactement n’a jamais eu de sens. L’idée d’anarchisme comme une série de valeurs des Lumières occidentales que nous avons plus ou moins apprises à l’école, n’a jamais eu de sens pour moi. Une des choses qui me préoccupent, à propos de ce weekend, c’est que parfois notre enthousiasme est surtout notre problème et la façon dont nous communiquons ce que nous sommes et nos idées d’autre chose, et au cas où quelque chose est aussi important que cette idée, cette idée d’une politique fondée sur le territoire est énorme, et je ne veux pas que ça tourne à la politique habituelle. Je dis cela en sachant que ce sera un défi dès qu’on en arrivera aux détails.”

Après avoir lu l’extrait de “Localiser un Anarchisme Autochtone”, Aragorn! souligna : “Pour moi se sont les seuls termes qui comptent, ‘contrainte autoritaire’ et ‘lieu’.”

Le panel Contre la Politique Coloniale des Colons, le dimanche, confirma que “l’anarchisme est en fait quelque chose que nous pouvons définir nous-mêmes.” Le panel se référa aussi à la déclaration de Russell Means “Pour que l’Amérique Vive, l’Europe Doit Mourir”, en tant que réaction éloquente des Autochtones à l’autoritarisme Marxiste. Une brochure intitulée “Le Marxisme et ses satellites… pour les anarchistes,” a été distribuée, dans laquelle on peut lire “… parce que quelquefois, les gens ne font pas vraiment partie de notre équipe.”

Certaines questions et réponses ont suscité de l’opposition à propos de “la nécessité d’unité de gauche” et de ne pas “perpétuer les disputes gauchistes venues d’Europe”. Il a été répondu que nous “devrions être honnêtes à propos de la politique de gauche, et que les conclusions du communisme et du socialisme sont anti-Autochtones.” Un membre du panel demanda : “Sommes-nous en train de critiquer l’autoritarisme ou les dogmes européens ?” Un tract intitulé “les Drapeaux Rouges des Fascistes Rouges”, donnant la liste des principaux groupes gauchistes fut distribué par quelqu’un qui était à La Conxa, au soi-disant Los Angeles, quand elle a été attaquée par un groupe Maoïste.

Sur le front de l’organisation, de l’activisme et de la lutte, il y a eu de nombreux ateliers sur les luttes à la frontière, qui furent le principal objectif de l’action contre les attaques subies par les territoires et les Peuples Autochtones, pour la convergence. Le Collectif O’odham Anti-Frontière a parlé de leurs stratégies pour maintenir leurs modes de vie malgré l’occupation perpétuelle, les frontières et les barrières édifiées sur leurs territoires traditionnels. Au cours du panel sur l’Organisation Autonome Contre les Frontières, un organisateur de soi-disant El Paso, a parlé de la manière dont leur communauté réagissait aux attaques du suprématisme Blanc, et du fait qu’ils devaient faire face à une répression extrême de la part de l’Etat. Ils ont aussi raconté comment un centre communautaire radical était sapé par “des formes subtiles de suprématie Blanche qui envahit et coopte nos espaces.” Ils se sont insurgés contre “les mécanismes forgeant le pouvoir libéral non-lucratif “, et ont affirmé que “nous ne sommes pas là pour demander des réformes. La loi tue notre peuple.”

Un autre organisateur des territoires Tongva occupés, le soi-disant Los Angeles, a parlé de leur travail consistant à soutenir directement les migrants détenus dans des camps de concentration. L’organisateur a reçu un appel d’une personne transsexuelle détenue dans un des camps et l’a fait entendre au micro. La conversation a été émotionnelle et dure, la tension de leur lutte a rempli la salle jusque dans ses moindres recoins.

Lors du panel “La Solidarité Signifie l’Action, la Lutte Anticoloniale Signifie l’Attaque !”, MAMA Julz dit que “la prière et l’action vont la main dans la main, j’ai toujours insisté là-dessus. Si nous restons à prier et qu’il n’y a personne dehors, rien ne sera fait. Nos ancêtres veulent nous rencontrer à mi-chemin. Peut importe à quel point ça peut être effrayant, souvenez-vous que tant que nous combattons pour les gens et Notre Mère la Terre de la manière qu’il faut, nous serons toujours protégés. Si vous croyez que vous pouvez abattre cette merde, abattez cette merde, mais priez d’abord.”

Leona Morgan, de Diné No Nukes et de Haul No! a parlé de la lutte contre le colonialisme nucléaire qui a laissé des milliers de mines d’uranium abandonnées et répandu le cancer dans les Territoires Autochtones. Elle dit que “70% de l’uranium vient de terres Autochtones” et que les projets actuels d’amener tous les déchets nucléaires des Etats-Unis au Nouveau-Mexique créaient une “zone de sacrifice national”. “Ici, ils disent que l’énergie nucléaire est une solution ‘propre’ au réchauffement climatique, alors que nous sommes ceux qui développent des cancers, nous sommes ceux dont l’eau, les plantes et la nourriture sont contaminés.” Elle se tourna vers les mouvements anti-nucléaires d’action directe qui bloquent les transports d’uranium et appellent à l’aide, et dit “nous avons peut-être besoin de faire ça ici.”

Klee Benally, de Protect the Peaks et un des organisateurs de la convergence, donna un aperçu de la lutte et des échecs des tentatives de bloquer la profanation des San Francisco Peaks sacrés, situés juste à côté de Kinłani/Flagstaff. Une station de ski a été autorisée par le Service des Forêts à faire de la neige artificielle à partir de millions de litres d’eaux usées recyclées, sur la montagne. Klee dit que “les lois coloniales des colons n’ont jamais été faites pour profiter aux modes de vie Autochtones, mais ont été fabriquées pour les détruire. Pour être plus efficaces, nous devons être honnêtes avec nous-mêmes, et comprendre que Standing Rock a été un échec stratégique qui n’a pas empêché la construction d’un oléoduc, mais bien sûr une réussite sociale et culturelle. Mais nous devons être critiques en temps réel sur ces luttes, afin d’être plus efficaces. Si nous ne parlons pas de nos échecs, comment pouvons-nous apprendre ?”

Le dimanche soir, avant que les gens commencent à échanger leurs adresses, avant le diner et après une conférence, nous nous sommes arrêtés et avons décidé de ne pas terminer selon notre protocole traditionnel.

Un des organisateurs de la convergence avait écrit dans un autre rapport, “à un moment du rassemblement, je m’attendais à être en présence de l’anarchisme autochtone. Je ne savais pas si l’anarchisme autochtone était le feu autour duquel nous allions nous rassembler, si c’était des individus qui convergeaient, ou si c’était un espace vide où des individus allaient allumer le feu. Il est prudent de dire que ce à quoi je m’attendais s’est produit. J’ai été témoin d’un anarchisme autochtone, mais ce n’était pas familier pour moi, un Diné anarchiste… Le potentiel que j’ai découvert lors de la convergence, c’est les particularités de l’anarchie Diné. Des feux faits de cristal et des feux faits de turquoise. Des feux assez intenses pour trouver la lumière d’autres anarchistes Diné dans le monde de ténèbres où je me trouve. Un monde malade de l’industrialisation d’humains civilisés dont la culture de contrôle et de destruction force tout ce qui vit à l’adopter, s’y adapter ou mourir. Je suggère que l’anarchie Diné offre un choix supplémentaire d’attaquer. Un assaut contre notre ennemi qui affaiblit leur emprise, non seulement sur notre monde scintillant, mais sur les mondes des autres. Une occasion pour l’anarchie de Ndee, les O’odham, d’exiger la vengeance sur leurs colonisateurs. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus, aux anarchistes Diné, qu’à dissuader les approbations de la prochaine idole qui requerra notre obédience.”

Pour le moment, nous voyons l’Anarchisme Autochtone comme un point de référence, mais ce terme est si large que tout ce qu’il peut inclure, il peut aussi l’étouffer. Nous n’avons rien à faire d’une restructuration de l’organisation sociale, nous cherchons des formations, des mouvements d’agitation, des interventions inspirés, et des actes menant à la libération totale. De notre perspective, aux pieds de Dooko’oosłííd, nous trouvons plus d’utilité dans la construction contextuelle d’accords profondément enracinés dans nos terres sacrées et nos enseignements. Ceci nous place, dans une certaine mesure, dans une position quelque peu contradictoire avec le nivellement qu’impliquerait un élargissement de la force émergente de l’Anarchisme Autochtone. Comme disait Aragorn!, “l’anarchisme Autochtone est une politique qui doit encore être écrite, et c’est peut-être une bonne chose.”

Pour le moment, nous continuerons à faire de l’agitation, organiser, écrire, discuter, et provoquer l’émergence de tendances autonomes/anti-autoritaires Autochtones vers une libération totale.

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RAPPORT SUR LE RASSEMBLEMENT ANTICOLONIAL, ANTIFASCISTE POUR LA DEFENSE DE LA COMMUNAUTE, A KINŁANI (FLAGSTAFF, ARIZONA)

 

Indigenous Action Media
D’abord publié par Taala Hooghan
13 avril 2018
Traduction Christine Prat

 

Kinłani/Flagstaff, Arizona – Un rassemblement anticolonial, antifasciste de plus de 60 participants, a été tenu à la Táala Hooghan Infoshop du 6 au 8 avril 2018. Ça a été un weekend fort, pour plusieurs raisons, mais principalement parce qu’il a été organisé explicitement d’un point de vue anticolonial, pas pour prendre une pose antifa. Les Autochtones n’ont pas été seulement “reconnus” ni évoqués symboliquement, nous étions les initiateurs et les organisateurs. Le lieu a été ouvert par des protocoles culturels sans qu’il y ait besoin d’explication. A l’ouverture, un bénévole de l’Infoshop a déclaré: “La manifestation est à beaucoup d’égards une extension du travail culturel et politique qui n’a jamais cessé ici depuis plus de 10 ans. Ce n’est pas un espace sûr, nous ne pouvons pas prétendre que c’est exempt des systèmes d’oppression qui existent hors de ces murs, mais ce que nous pouvons affirmer, c’est que c’est un lieu menaçant pour ces actions et ces conduites.”

Le programme du rassemblement n’était pas écrasant ni bourré de trop d’ateliers se faisant concurrence, il suivait seulement deux pistes qui représentaient le travail et les intérêts de l’équipe qui organisait. Nous n’allons pas entrer dans les détails, mais nous souhaitons partager ce bref rapport.

La discussion d’ouverture, “Intersections & Tensions Anticoloniales et Antifascistes”, a été présenté à un cercle, avec un panel informel. La discussion était modérée par, et ouverte au groupe. Une partie de la discussion portait sur la liquidation des relations avec des ‘alliés’ (présentée par le principal auteur de ‘Pas d’Alliés, Des Complices‘) et des poses anticoloniales. La discussion a surtout tourné autour de la lutte anticoloniale, vu que, bien que des invitations aient été envoyées, des groupes antifascistes de la région ne sont pas venus.

Une déclaration (émanant de www.rageandresist.org ) qui représentait l’esprit de la discussion, a été lue: “Nous reconnaissons les limites de l’antifascisme en territoire volé. Nous avons connu la main de fer de l’état, en ‘Arizona’, bien avant que Trump ne soit élu. Nous avons résisté aux innombrables attaques contre les migrants (dont beaucoup sont nos parents Autochtones) par les mécanismes d’état, beaucoup des administrations mises en place pour bloquer ou tuer des migrants, sont aussi là pour imposer la loi coloniale sur les territoires Autochtones non-cédés. Des patrouilles du MCSO [Bureau du Sheriff de Maricopa] d’Arpaio visant les Yaqui à Guadalupe, de la violence policière contre les Peuples Autochtones dans tout l’état, de la déportation forcée de plus de 20 000 Diné de Black Mesa, de la répression contre les Peuples Autochtones défendant des sites sacrés comme les San Francisco Peaks, des points de contrôle de la Patrouille des Frontières sur les routes de la Nation Tohono O’odham, à la barrière physique qui divise les Peuples Autochtones séparés par la frontière coloniale entre les Etats-Unis et le Mexique. La résistance autochtone à ces entreprises dure depuis longtemps, alors que les complices sont encore nouveaux dans le combat. Nous avons organisé des projets de solidarité pour nous opposer au réseau de contrôle colonial, parce que nous avons compris que l’antifascisme qui n’est pas fondé sur l’anticolonialisme, est certain de reproduire les structures de la violence du colonialisme de peuplement, qui existe depuis plus de 500 ans sur ce continent, et depuis plus de 200 ans, dans la démocratie représentative des ‘Etats-Unis.'”

L’un des orateurs dit “Prenez des risques. Si cette discussion et ce rassemblement ne vous mettent pas mal à l’aise à un moment ou un autre, c’est que nous avons commis une erreur.”

Sakej Ward a ouvert des perspectives précieuses au cours de l’atelier sur la “Doctrine Révolutionnaire Autochtone”. Il a analysé une sélection de stratégies révolutionnaires historiques et expliqué pourquoi une stratégie distincte est nécessaire dans le contexte de nation Autochtone. Le discours de Sakej a aussi exploré “l’environnement apocalyptique incessant dans l’après-effondrement Autochtone” et dénoncé la pacification par des ONG et organisations à but non lucratif des luttes Autochtones.

Parmi les autres ateliers, il y avait: Antifascisme et Culture de la Sécurité 101, Fascisme et Antifascisme en France, Défense Armée, Liquider le Poison de la Fasculinité dans les Mouvements et Espaces Radicaux, et des ateliers d’autodéfense.

L’atelier sur le Poison de la ‘Fasculinité’ a eu lieu dans un espace fermé, réservé aux fxmmes, et aux genx transgenres et lesbiennes (pas d’hommes hétéro). L’atelier a montré en détail les différentes manières par lesquelles des espaces voués à des mouvements militants radicaux pouvaient personnifier une hyper masculinité qui réduit au silence, aliène et fait du tort aux fxmmes, aux femmes [en français dans le texte] et autres genres non-mâles. L’atelier était modéré comme un cercle de discussion et les participantes ont partagé et appris des expériences des unes des autres. Après ce cercle de discussion, il y a eu un atelier d’autodéfense spécial pour les fxmmes, femmes, et hommes non-hétéro.

La soirée s’est terminée par un autre panel informel sur le “Soutien de la Communauté Contre la Police.” Deux membres de la communauté Autochtone sans abri ont rejoint Louise Benally, de Big Mountain – où la résistance à la déportation forcée existe depuis plus de 40 ans – et les organisateurs antifascistes, dans une discussion sur les méthodologies alternatives et une justice transformatrice et restauratrice.

Le samedi soir, un poste de police a été amélioré avec de la peinture rouge et le message “Fuck the Police.” D’autres endroits ont aussi été redécorés, mais celui-là a attiré l’attention de nombreux flics [‘pigs’ en anglais] et d’un hélicoptère. Bien qu’ils ne soient pas associés à l’action, deux camarades ont été pris par les flics [pigs] et retenus pour la nuit. Le soutien aux prisonniers a été rapidement activé et après que les accusations (deux pour chacun, de délit criminel de graffitis) et la caution aient été déterminées, une partie de l’équipe du rassemblement s’est réunie devant la prison. Envoyez s.v.p. des emails à taalahooghan@protonmail.com pour savoir comment aider ceux qui risquent de multiples chefs d’accusation.

La matinée a commencé par un atelier sur l’âgisme pour les jeunes, et sur les façons dont les jeunes pouvaient se défendre, et s’est terminée par une discussion sur la construction d’un Mouvement Antifasciste Régional.

“Nous ne choisissons pas d’êtres activistes” dit l’un des coordinateurs du rassemblement, “nous sommes nés dans cette lutte et la vivons tous les jours.”